Blessures transformées : un Regard Islamique

Mar 13, 2019 par

 

Musa Belfort

Les blessures sont de plusieurs types : physiques, psychologiques et morales, spirituelles (touchant à l’être essentiel) et collectives. J’évoquerai les trois premières citées car elles concernent l’être humain dans son individualité, dans ce qui le constitue ontologiquement. D’emblée un point important est à notifier, c’est qu’en islam la question du comment est beaucoup plus déterminante que la question du pourquoi. Autrement dit, ce n’est pas tant d’affirmer : cette blessure qui m’atteint, pourquoi m’atteint-elle ? mais c’est d’affirmer plutôt : cette blessure qui m’atteint, comment la supporter en vue de la transformer. Voici quelques pistes de réflexion à ce sujet :

  1. L’APPROCHE CORANIQUE

Qarẖ : Blessure, revers :

qarẖoun: 3/140 : Si une blessure vous atteint, vos ennemis sont aussi atteints par une blessure similaire…

al-qarẖou : 3/172 : Ceux qui, bien qu’atteints de blessure, ont répondu à l’appel de Dieu et du Messager…

Jourouẖ : Blessures :

Al-jourouẖa : 5 : 45 : Les blessures sont soumises à la loi du talion.

Le mot blessure, tel que mentionné dans le Coran, est lié d’une part à la blessure physique (subie lors de conflits armés) et d’autre part jugé selon le contexte par la jurisprudence, même si par extension cela implique des répercussions psychologiques. La loi du talion est à même de donner réparation à la personne blessée afin de lui donner satisfaction et apaiser son cœur. Cette même loi du talion progressivement remplacée dans l’histoire par une jurisprudence proprement islamique.

D’une façon générale, l’islam quant au thème de la blessure (voire du traumatisme dit “résilience” [Boris Cyrulnik]) s’apparente davantage à la notion d’épreuve subie [ar.Balâ = marque de sa faveur] et son corollaire obligé « la transformation » vers la guérison. En d’autres termes la blessure transformée pourrait se traduire en islam par « l’épreuve voulue par Dieu telle une marque de Sa faveur et vécue avec patience (as-sabr = endurance, persévérance) en vue de la guérison ». Cette épreuve, au-delà de son acception physique, morale ou psychologique et de la réalité de la souffrance engendrée, est principalement de nature spirituelle, incombant à l’âme de pouvoir la supporter. Ici même intervient la Parole divine qui, tel un médicament, agit sur l’âme pour lui apporter la patience nécessaire en vue de transformer la blessure en guérison (la suprême guérison à venir étant la consolation divine relative à la promesse de la félicité pour les croyants et croyantes). En effet Dieu dit dans le Coran :

« Dieu n’impose à l’âme que ce qui est en sa capacité. Elle aura ce qu’elle acquiert et supportera ce qu’elle acquiert. » (Al-Baqara, 2 : 286).

Et dans une tradition prophétique (hadîth) : « Dieu éprouve durement celui à qui Il veut du bien… » (Al-Bukhârî).

Une autre terminologie s’avère intéressante à ce sujet, c’est le verbe arabe fatana(dont est issu le mot fitna-division) qui signifie éprouver, mettre à l’épreuve. Le Coran exprime ceci clairement :

« Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de diminution de biens, de personnes et de fruits. Et fais la bonne annonce aux endurants, qui disent, quand un malheur les atteint : « Certes nous sommes à Allah, et c’est à Lui que nous retournerons ». Ceux-là reçoivent des bénédictions de leur Seigneur, ainsi que la miséricorde ; et ceux-là sont les biens guidés. » (Al-Baqara, 2 : 155-157).

« Est-ce que les gens pensent qu’on les laissera dire : « Nous croyons ! » sans les éprouver ? Certes, Nous avons éprouvé ceux qui ont vécu avant eux… » (Al-Ankabut, 29 : 2-3).

Par conséquent, tout ce qui est de nature à occasionner des tourments, des souffrances, des difficultés de toutes sortes n’atteint le croyant (ou la croyante) que pour éprouver sa foi et le rapprocher de Son Seigneur.

  1. L’APPROCHE PROPHÉTOLOGIQUE

Pour le croyant ou la croyante, être blessé(e) n’est pas forcément lié à une quelconque punition mais plutôt à une volonté divine de purification de son être pris dans son sens ontologique, c’est-à-dire une purification complète à travers les vicissitudes de la vie. Le meilleur modèle est sans aucun doute le Prophète Muhammad – paix et bénédiction de Dieu sur lui – qui, au-delà de ses blessures– épreuves qu’il dut subir durant son existence et particulièrement lors de son apostolat prophétique, a constamment fait montre de patience en vue d’obtenir l’agrément de son Seigneur dans la mission qui lui avait été confiée. En islam, le Prophète Muhammad est l’archétype de l’homme blessé, éprouvé, meurtri à bien des égards, mais qui, à la faveur de sa remise confiante en Dieu – ou mieux de son abandon à Dieu en toutes circonstances (at-tawakkul) a toujours reçu aide et consolation de la part de son Seigneur et Enseigneur. Par ailleurs, une fameuse tradition évoque avec force cette assertion doublée d’une promesse valable pour tous :

« La première chose que Dieu a écrite sur la Table (Gardée) est : “ Moi, Je suis Dieu ; il n’y a pas d’autre divinité que Moi et Muhammad est Mon Envoyé. Quiconque se soumet à Mon Décret, supporte avec patience les épreuves que Je lui envoie, et rend grâces pour Mes Bienfaits, Je l’inscris comme Juste et Je le ressuscite avec les Justes”… » (Rapporté par Ibn ‘Abbâs).

Outre la tradition prophétique qui s’attache au Prophète Muhammad, l’islam accorde une importance fondamentale à la prophétologie ou, autrement dit, à la chaîne des prophètes (silsila) inaugurée par Adam. Relativement à notre sujet, le prophète Job (Ayyoub), à l’instar d’Abraham, en est un exemple flagrant.

  1. a) l’exemple de Job (Ayyoub)

Le Coran dit à son propos :

« Et (rappelle-toi) Job, lorsqu’il implora son Seigneur (en disant) : « Certes, la souffrance m’a touché. Mais Toi, Tu es le plus Miséricordieux des miséricordieux. » Nous exauçâmes sa prière, le délivrâmes de sa souffrance, lui rendîmes les siens (qu’il avait perdus), et doublâmes leur nombre, par un effet de Notre miséricorde, et en tant que rappel à ceux qui Nous adorent. » (Coran 21:83-84).

  • L’APPROCHE SPIRITUELLE [ET SOTÉRIOLOGIQUE]

L’islam propose donc un univers référentiel dans lequel le croyant (ou la croyante) puise la force dont il ou elle a besoin. À cet égard, la notion de qadar(destin) tient une importance capitale puisque croire au destin, bon ou mauvais, fait partie des six piliers de la foi (complémentaires aux 5 piliers ou fondements essentiels de l’islam). Il faut accepter ce fait dans un « élan de foi » nourri par le rappel ou souvenir de Dieu (ad-dhikr). Le rôle de la prière est aussi essentiel dans ce cadre puisqu’il est le lien indéfectible qui unit à Dieu.

Djalal-ud-DînRûmî, le grand soufi persan du XIIIème siècle, nous parle de la séparation de l’âme d’avec Dieu (symbolisée par le son émis par la flûte de roseau) et du bonheur de la réunion dans la céleste Demeure où toute âme sera consolée et connaîtra la félicité éternelle. Toute blessure sera transformée et chaque âme comprendra dans l’éternité le sens de sa vie et des épreuves traversées. Rûmî composa à cet égard les vers suivants :

Si l’univers est tout empli de ronces

Le cœur de l’amoureux est tout entier roseraie.

Et si la roue du firmament est oisive à tourner

Le monde des amoureux est en labeur.

Que tous deviennent tristes et l’âme de l’amoureux

Sera tendre, gaie, en fête.

À l’amoureux donne, toi, où qu’elle soit morte, la torche

Car il a, lui, cent mille lumières.

Et si l’amoureux est seul, il n’est pas seul

Car il est intime avec l’Aimé secret…

Qui que nous soyons, quelles que soient les vicissitudes que nous traversons dans cette vie :« C’est à Dieu que nous appartenons et c’est vers Lui que nous retournerons. »

 

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