L’appel au bien et la prévention du mal

Mar 13, 2019 par

Prof. Dr. Süleyman Derin

Süleyman Derin est professeur-docteur en islamologie à l’université de Marmara (Istanbul). Sa thèse doctorale intitulée « Towards Some Paradigms of the Sufi Conception of Love : From Râbia to Ibn al-Fârid » (Les différentes compréhensions de l’amour dans la tradition soufie : de Rabia à Ibn al-Fârid) fut soutenue à l’Université de Leeds en 1999 et fut publiée aux éditions Insan. Ses travaux se concentrent principalement sur le soufisme et l’interprétation du Coran (tafsir). Il est notamment l’auteur de Kur’an-i Kerim’de Seyr-u Suluk – Ahmed Ibn Acibe’nin Tefsiri’nde (La voie « Seyr-u suluk » dans le Coran, le Tafsir de Ibn Ajibah) aux éditions Erkam ; et de İngiliz Oryantalizmi ve Tasavvuf (L’orientalisme anglais et le soufisme) aux éditions Küre.

Dans cet article, Süleyman Derin appuie son raisonnement sur les lettres de l’Imam Rabbani. Ahmed Sirhindi – dit Imam Rabbani (1564-1624) – est un célèbre savant (cheikh) et juriste hanafi (faqîh) indien. Maître spirituel de l’ordre sufi Naqshibandi, il fut surnommé « mujaddid alif saani » (revivificateur du second millénaire hégirien) pour ses travaux réaffirmant l’importance de la Sunna face aux nombreux mouvements hétérodoxes qui prospéraient à son époque.

Ses Lettres (al maktubât) – collection de plus de 500 lettres dans lesquelles le cheikh transmet ses enseignements au sujet du kalâm, du fiqh et du soufisme – furent éditées pour la première fois en 1615.

L’une des missions les plus importantes qui revient au musulman et à la musulmane est sans nul doute le rappel de l’existence d’Allah (al-Haqq) et des réalités divines (al-haqiqat) sein de la société. Le mois de Ramadan représente une occasion particulière à cet égard tant l’ensemble de la société se rapproche de la religion. Ainsi, durant ce mois sacré une grande partie de population jeûne, commence la prière et prie tarawwih à la mosquée. Les chayatin (diables) sont enchainés durant toute cette période.

Malheureusement, encore trop d’interdits sont violés durant le mois de Ramadan. Face à de telles actions, il ne convient pas aux musulmans de rester les bras croisés, sans agir.

Comme le disait Ahmed Gumuchanawi قدس سرّه la personne qui ne se fâche pas pour la cause d’Allah Le Tout Puissant ne peut accomplir d’actions louables.

Cependant, se fâcher pour la cause d’Allah Le Tout Puissant ne signifie pas crier sur tous les toits et s’énerver, mais au contraire rappeler le bien avec douceur aux frères tombés dans le péché.

L’imam Rabbani قدس سرّه, qui percevait les péchés comme un poison qui tue à la fois la société et ses membres avait pour coutume de dire : « Nous devons nous tenir loin de toute chose proscrite par Allah Le Tout Puissant et percevoir toute action dénuée de Sa satisfaction comme étant du poison. Nous devons en permanence nous rappeler de nos fautes et en ressentir un regret sincère. C’est cela la voie de l’adorateur

La personne qui accomplit des actions qu’Allah Le Tout Puissant réprouve, puis les oublie et n’en ressent aucun regret, a un cœur obstiné et rude. Un tel état spirituel est très dangereux, il risque de faire sortir la personne de la religion, jusqu’au point de la faire entrer parmi les opposants de l’Islam. »[1]

D’après ces paroles de l’imam Rabbani قدس سرّه, il ne suffit pas d’observer les obligations cultuelles pour être sauvé de l’égarement. La base fondamentale est d’abandonner tous les interdits. En ce qui concerne les musulmans qui ne pratiquent pas d’interdits, ils doivent s’efforcer d’empêcher les autres de le faire.

Ce principe se nomme en Islam ‘Amr bil’ma’ruf / nahy ‘anil munkar, c’est-à-dire l’appel au bien / la prévention du mal.

Les personnes qui connaissent bien la religion, qui ont reçu une éducation solide en la matière, se doivent d’aider la population et nos dirigeants à se tenir loin du mal.

Malheureusement, certains savants font tout l’inverse en utilisant leur science pour légitimer leur mauvais comportement au lieu d’appeler les gens au bien et à la vérité.

A ce sujet, l’imam Rabbani قدس سرّه fit part de plusieurs recommandations à une personne influente près du padichah de son époque, le Sultan Cihangir (1605-1627):

« La plupart des gens n’en sont peut-être pas conscients mais l’un des plus grands bienfaits de notre époque est d’avoir comme Sultan un musulman, sunnite et hanafite. Ô combien votre honneur est grand! Vous, à qui le Sultan prête attention et écoute vos remarques. Vous devez considérer votre position comme étant une grande faveur, et en profiter pour pouvoir lui transmettre les sagesses l’Islam selon la tradition des Ahl al-sunna. Que vous lui transmettiez votre message de manière franche et ouverte ou que vous employiez la métaphore et l’allusion, l’important est de profiter de chaque occasion, de chaque entretien avec lui, afin de pouvoir lui enseigner les vertus islamiques. Il s’agit là d’une affaire très sérieuse ! »

L’imam Rabbani قدس سرّه se plaint du fait que la majorité des personnes qui gravitent autour du Padichah lui octroient la vérité et l’orientent vers de mauvaises politiques afin de satisfaire leurs intérêts personnels.

Voici ce qu’il قدس سرّه dit à leur sujet : « C’est un fait très malheureux qu’une partie des savants s’efforcent d’orienter le Sultan vers l’erreur basant leurs conseils sur leur mauvaise personnalité. Ne vivons-nous pas dans une époque proche du Qiyamah (la Résurrection) ? Afin d’être bien vus des gouvernants, ils sèment les soupçons vis-à-vis de l’Islam. C’est ainsi qu’ils font dévier les riches du droit chemin. »

Selon l’Imam Rabbani قدس سرّه le rôle des savants de la religion n’est pas d’augmenter les doutes au sujet de la validité de l’Islam mais au contraire de soutenir dignement l’Islam face aux autres systèmes de pensées.

En effet, dans le monde musulman aujourd’hui un grand nombre de personnes ne trouvent pas anormal de trouver à côté de l’Islam un autre système de pensée et un autre style de vie. Ils voudraient que l’Islam soit cantonné à la mosquée, à la prière funéraire et à quelques jours sacrés. Cependant, le musulman qui réfléchit un minimum sur ce sujet comprend rapidement que tout système en dehors de l’Islam est erroné. De fait, ces systèmes sont basés sur le kufr. Or le kufr est un égarement notoire qu’aucun musulman sensé ne peut apprécier. La véritable divinité est Allah Le Tout Puissant le créateur des terres et des cieux. Cette réalité fondamentale doit être attestée en toute certitude sans le moindre doute.

De plus, l’Imam Rabbani قدس سرّه nous invite à méditer les versets du Coran qui déconstruisent l’argument des mécréants, de ceux qui ne croient pas en Allah Le Tout Puissant, et ceux qui adorent leur ego (nafs) ou de fausses divinités.

A la lecture du Livre Saint, on saisit en effet que la confiance de l’homme en sa science et sa technologie ne lui permet à aucun moment de créer quelque chose, aussi petite que la fourmi. Comment se fait-il donc que l’homme, qui est incapable de créer une chose aussi insignifiante en apparence que la fourmi, puisse croire que ce monde soit dépourvu de créateur et de propriétaire ?

L’Imam Rabbani قدس سرّه nous dit à ce sujet :

« Existe-t-il vraiment quelqu’un pour croire que de fausses divinités aient créé la fourmi ? Quand bien même elles se réuniraient, elles ne parviendraient pas à la créer. Pire encore, c’est la fourmi qui nuit à ces fausses divinités ! Comment ces dernières pourraient donc protéger ceux qui les adorent ?

Peut-être que les mécréants le savent pertinemment et c’est pour cette raison qu’ils disent de leurs divinités : « Ceux-ci sont nos intercesseurs auprès d’Allah« [2] et « Nous ne les adorons que pour qu’ils nous rapprochent davantage d’Allah« [3] ».

Les exemples mentionnés par l’imam Rabbani قدس سرّه au sujet de l’appel au bien (al-Amr bil’ma’ruf) doivent nous faire méditer sur notre propre comportement au sein de la société, et nous pousser à trouver de nouvelles méthodes d’appel au bien et de prévention du mal (al-Amr bil’ma’ruf wa nahy ‘anil munkar).

En effet selon l’imam, les dirigeants d’un pays sont semblables à l’âme d’un individu.

Si l’âme est saine, le corps est sain mais si elle est corrompue, c’est tout le corps qui l’est à son tour.

Travailler à l’amélioration du comportement des dirigeants, c’est travailler à l’amélioration de toute la société.

Ainsi, l’appel au bien est un devoir qui inclut toutes les classes de la société.

Puisse Allah le Très-Haut nous permette d’accomplir cette mission sacrée.

Amin.

[1]      Rabbani, al maktubat, Volume III, lettre 67

[2]        Saint Coran sourate Jonas – Yunus (12) verset 18

[3]        Saint Coran sourate Les Groupes – Az-Zumar (39) verset 3

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