Le rapport a la mère, le rapport au monde

Mar 12, 2019 par

Tuba Sokmen

Dans un de mes derniers articles, j’analysais la notion de « qualité de la vie » présente chez l’être humain. Plus précisément, j’essayais d’évaluer sous un angle nouveau ce qui constitue l’un de ses plus grands enjeux, à savoir les relations avec ses congénères. C’est à travers cette question que j’en suis venue à partager avec vous des données fondamentales ainsi que mes propres réflexions sur la notion de sentiment de confiance. Comment se développe ce sentiment à la petite enfance et comment se manifeste-il par la suite dans les relations sociales de l’individu et dans les épreuves de la vie auxquelles il fait face ?

Dans ce présent numéro je vais poursuivre ce questionnement en me basant sur une catégorisation sur les différents types de caractères et de conceptions du rapport de confiance – ou de non confiance – à soi et aux autres. Il existe à ce sujet quatre groupes sociaux, regroupant chacun une certaine psychologie du rapport de confiance vis-à-vis de soi et des autres, à savoir :

  • La confiance accordée à soi ainsi qu’aux autres (le rapport confiant).
  • La confiance accordée à soi mais pas aux autres (le rapport indifférent).
  • La confiance accordée aux autres mais pas à soi (le rapport obsessionnel).
  • La confiance accordée ni à soi ni aux autres (le rapport anxieux).

Le rapport confiant

Il émerge d’une petite enfance qui s’est idéalement passée, d’un rapport intime entre la mère et le bébé. À l’instant même où la mère surprend son bébé dans le besoin, elle accourt vers lui avec soutien, tendresse et compassion. Il résulte de cet effort un lien clair et sécurisant entre la mère et son enfant. Cette relation est facilement repérable dans le fait que la mère et le bébé soient ensemble en permanence. La mère qui sans interruption pense à son bébé et le désire commence à donner le lait à son enfant, et ce dernier sent l’odeur de sa maman du bout de son nez. C’est dans cet environnement de confort que le corps, l’intelligence et les qualités sociales de nombre de bébés se développent sainement. Le bébé qui est certain de se retrouver près de sa mère, acquiert une confiance en soi et ressent le désir de rencontrer son entourage. Alors qu’il commence à marcher à quatre pattes, une certaine distance se crée entre les deux. Le bébé interroge son entourage tout en prenant soin de ne pas trop s’éloigner de sa mère, vers laquelle il lance de nombreux regards furtifs. En effet, s’il n’est pas près d’elle il ne sent plus à l’aise, à l’abri, et commence à pleurer. Il ne s’apaise rapidement qu’en l’embrassant. Ainsi, il peut continuer de jouer et de découvrir les personnes qui l’entourent. Cette forme idéale du rapport entre la mère et l’enfant permet à ce dernier de se construire sainement et de ressentir à la fois une confiance en soi, un sentiment de sérénité dans ses relations sociales, en avance sur son âge, ainsi que les bases d’un sentiment de confiance envers son Créateur.

De la sorte, il s’aperçoit naturellement de l’intérêt, de l’amour et de la valeur qu’il mérite ; de même qu’il se rend compte de la valeur, de la confiance, de l’amour et de l’intérêt que méritent les personnes qui l’accompagnent au quotidien. Dans cette atmosphère se crée à l’intérieur de l’environnement social de l’enfant un lien harmonieux. C’est par ce moyen que l’enfant croit à l’ordre divin et à la puissance du Très-Haut, à la répartition qu’Il fit des créatures par Sa volonté, Sa miséricorde et Sa tendresse, résultat de Sa toute maîtrise sur les choses. C’est à travers une telle expérience qu’il peut acquérir un caractère reconnaissant envers les bienfaits qu’Il détient, et goûter à la patience, au tawakkul (abandon en Allah), c’est-à-dire d’un sentiment de confiance envers son Créateur. De la même façon que le bébé a ressenti l’apaisement dans la proximité de sa mère, il ressentira la paix et la confiance dans la proximité d’Allah, en tant qu’adorateur.

Le rapport indifférent

Il résulte d’une certaine attitude que l’on rencontre à la période de la petite enfance. Celle d’une mère qui, inconsciemment, encourage le développement d’un caractère égoïste chez le bébé, en lui offrant énormément de cadeaux avant même qu’il en ressente le besoin.

Au milieu d’une telle atmosphère, le bébé qui se forme ne ressent plus le besoin d’être près de sa mère ni d’être surveillé par elle. Il ressent la capacité de s’en éloigner et se comporte d’ailleurs comme tel. Ce comportement se poursuit à l’âge adulte. Quand bien même la personne ait confiance en elle, elle ne parvient pas à accorder cette confiance aux autres. D’un point de vue social, elle ne parvient pas à entretenir des relations saines, car elle porte constamment un regard critique sur autrui. De plus, ce sentiment égoïste constitue un obstacle dans la relation au divin. Quand l’enfant se présente à son Créateur rempli de fierté et d’arrogance, il ne perçoit pas Sa force et Sa souveraineté. À l’inverse, plus il grandit plus il prend conscience de sa propre force. Petit à petit il en vient à se perdre spirituellement, sa suffisance l’incite à abandonner, son arrogance le pousse à l’indifférence. Il en vient à mener une vie solitaire, loin des autres. Dans ce type de rapport, la personne est incapable d’accorder à son épouse, à ses enfants comme à ses amis, l’intérêt, l’amour et le respect qu’ils méritent.

Le rapport obsessionnel

Dans ce cas, la mère remplit son devoir maternel mais en y ressentant de la gêne. La période durant laquelle elle doit prendre soin de l’enfant est une période qui lui est pénible. Lors des activités qui les lient tous les deux, elle ne parvient pas à donner suffisamment de place au divertissement et au jeu. L’enfant qui grandit dans ce type de rapport ne se perçoit pas comme une personne aimée et estimée. En manque de confiance, il se comporte comme s’il était tributaire des autres. Il accomplit des sacrifices inutiles afin de plaire à ses camarades. L’objectif de tous ses efforts n’est autre que l’espoir d’acquérir un sentiment de confiance. Cependant, cet acharnement est incapable de lui apporter le bonheur, car le bonheur ne peut se trouver dans le regard des autres.

Cette situation fait écho à un drame malheureux qui eut lieu il y a quelques mois dans la ville de Kahramanmaraş (au sud de la Turquie), dans laquelle quatre frères se sont suicidés à la suite de la mort de leur mère. Il est possible de relier leur traumatisme avec le type de rapport qu’ils connurent avec elle. En effet, il semble que ces jeunes ne pouvaient concevoir de vivre dans l’insécurité qu’engendra cette disparition. Le fait qu’ils aient préféré la voie du suicide indique l’existence de failles dans leur rapport à la mère.

En effet, à cause du manque de confiance qu’il suscite, une personne qui connaît un rapport obsessionnel à la mère a plus de chance de tomber dans un désespoir profond au cours de sa vie. Quand bien même cette relation ne porte pas directement atteinte à sa foi, sa mélancolie peut le conduire à une certaine insouciance du divin. Et ainsi l’oubli du Très-Haut peut devenir une réalité quand la peur de la punition divine et l’enfermement l’emportent sur l’amour et l’espoir d’être récompensé.

            Le rapport anxieux

Dans ce type de rapport, la personne n’a malheureusement confiance ni en sa personne, ni aux autres. C’est le cas d’un enfant qui a constamment changé de nourrice lors de la petite enfance. Dans cette situation, le bébé s’attache exagérément à une personne, mais du fait qu’il n’ait jamais connu d’ensemble ordonné et stable, il ne parvient pas à lui faire confiance malgré cet attachement. Il faut savoir que chaque personne qui s’occupe du bébé accorde une attention différente à l’enfant, répond à ses besoins avec une sensibilité qui lui est propre. Dans cette configuration fragile, la connaissance intime de donner et de recevoir ne peut se développer au sein du bébé de moins de 12 mois. Cette situation angoissante influence négativement l’enfant sur ses relations sociales futures. En effet, bien que la personne se liera avec les autres, il sera difficile pour elle de leur faire confiance. La vie en dehors de la maison lui fera peur, l’angoisse la rendra susceptible et capricieuse. Ce déficit de confiance entachera toutes les sphères de sa vie, l’amenant vers une vie dénuée de quiétude, pour elle ainsi que pour ses proches.

Dans le domaine de la foi, l’attachement requiert aussi un sentiment de confiance solide. La personne qui a connu un rapport anxieux à la petite enfance ne pourra pas ressentir d’attachement fort dans sa vie future, son sentiment de confiance ayant été atrophié par des comportements négligents à son égard.

Lorsqu’est évoquée la période dite innocente de la petite enfance, c’est -à-dire entre 0 et 1 an, et les schémas relationnels qui s’y tissent entre la mère et son bébé, on se rend compte que l’enfant n’est en vérité pas si innocent qu’il n’y paraît. En effet, les parents ne réalisent généralement pas à quel point leurs erreurs influencent très tôt la personnalité de leurs enfants. Lorsque ces derniers commencent à parler et à formuler leurs premières expressions, ils réutilisent les mauvaises paroles et attitudes ainsi que les appréhensions de leurs parents. Cette sensibilité de l’enfant est d’autant plus vraie vis-à-vis des mères, avec qui le rapport se crée beaucoup plus tôt. Il leur est donc primordial de construire un rapport sain et sûr entre elle et leur bébé.

Si la mère est obligée de reprendre le travail juste après l’accouchement, le mieux pour elle est de trouver chez les grands-mères de l’enfant une personne qui puisse offrir un même amour inconditionnel et une même attention au bébé. Si les grands-mères en question ne sont pas non plus disponibles, une autre nourrice doit alors être trouvée. Quelle que soit la personne qui veut bien apporter son aide, elle ne doit pas uniquement s’attacher à l’attention et aux besoins physiques de l’enfant. Le point crucial dans la recherche d’une nourrice est de chercher une personne qui pourra offrir à l’enfant l’amour, l’intérêt, la tendresse et le soin dont il a besoin. Car le lien que cette personne tissera avec l’enfant déterminera le rapport de l’enfant à la vie et aux autres. Et ce rapport, à son tour, dirigera et structurera ses futures relations sociales. La nourrice doit pouvoir entretenir le développement d’un sentiment de confiance chez le bébé. Pour cela, elle doit posséder plusieurs qualités fondamentales, parmi lesquelles se trouvent la confiance, l’expérience, la compassion, l’amour des bébés et de son travail, le sens de la responsabilité, la maîtrise du relationnel et la volonté d’assister les parents dans les tâches ménagères. De plus, il est nécessaire que cette personne maintienne cette motivation pendant une durée minimale d’un an.

Néanmoins, la situation idéale, à la fois pour la mère et la santé psychologique et spirituelle de l’enfant, reste que la mère s’occupe personnellement de son bébé durant une période d’au moins un an après l’accouchement.

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