De la sensibilité du cœur chez les soufis

Mar 13, 2019 par

Prof. Dr. Süleyman Derin

 

 

Parmi les musulmans, les soufis sont reconnus pour leur sensibilité exceptionnelle à l’offense d’autrui ; ils prennent toutes leurs dispositions pour ne pas briser le cœur de leur prochain puisque le cœur représente la demeure, le palais spirituel du Divin. Par conséquent, selon les soufis, briser le cœur de son semblable est après le péché de l’associationnisme le plus énorme péché que l’on pourrait commettre. Le Bien-aimé Prophète (pbsl) nous enseigne ceci dans l’un de ses nobles hadiths : “Ô Ka’ba (la Maison Sainte) ! Tu es certes la Demeure de Dieu ; tu es très honorifique. Toutefois, si un musulman brise le cœur (offense) à un croyant, son péché excèderait le péché pour t’avoir démolie soixante fois.

C’est sans nul doute à l’égard de ce hadith que les livres traitant du thème de la spiritualité se sont attardés sur la comparaison du cœur à la Ka’ba et n’ont pas manqué de stipuler comme péché énorme la vexation d’autrui :

 

Le soubassement de la Ka’ba fut réalisépar Azar,

La Ka’ba fut bâtie par Ibrahim, neveu d’Âzar.

La langue est observée par Dieu le Beau, le Plus Grand,

Quant au cœur, il dénote de l’Existence de la Véridique.

Malheureusement, dans notre monde actuel dominé par le matérialisme, la sensibilité à l’offense du prochain a commencé à décroitre progressivement chez les musulmans ; ils tendent à perdre toute notion du caractère énorme du péché d’offense. Compte tenu de la course effrénée aux richesses et de l’amour excessif pour ce bas-monde, les personnes intègres qui prêtent attention aux droits d’autrui sont recherchées avec des torches dans le monde du commerce, de la politique et des relations sociales. Le Saint Coran n’a pas manqué de nous relater dans la sourate “L’éléphant“ l’anecdote d’Abraha qui se mit en marche après avoir planifié de détruire la Ka’ba (la Maison de Dieu); lui, son armée et ses éléphants furent anéantis bien avant qu’il ne commençât à exécuter son plan. Au nombre des grands illustrateurs de la problématique de la vexation, l’étoile de l’univers des cœurs Yunus Emre (kuddissasirru) nous définit ces caractéristiques :

Un vieux barbu, qui offense son prochain,

Qu’il ne se fasse pas gratuitement le pèlerinage,

Car il ignore l’ampleur du péché de son acte…

Si tu brises une seule fois un cœur

Ce ne sont pas les prières que tu accomplies

Même celles accomplies par soixante-douze nations

Ne pourront suffire pour t’en décharger.

Selon Yunus, les actes d’adoration de ceux qui n’évitent pas d’offenser un croyant ne leur seront d’aucune utilité. C’est pour cela qu’EsadErbili (kuddissasirru) a émis cette expression concernant le fait de blesser un cœur : “Mais je sais une chose qui est la suivante: la première leçon de l’instruction, c’est de ne pas offenser; sa dernière leçon aussi, c’est de ne pas être offensé…

Depuis le passé jusqu’à nos jours, les rapprochés de Dieu ont tous défini la même réalité mais en usant d’un procédé d’expression différent. Au nombre de ceux qui ont clairement détaillé le gravissime péché d’offense prend place l’Imam Rabbani (kuddissasirru). Bien qu’il fût un soufi reconnu pour son opposition très farouche aux ennemis de l’Islam, il n’appréciait jamais le fait de blesser vainement le cœur de l’ennemi étant donné que Dieu Le Très-Haut créa le cœur avec la spécificité d’être l’organe le plus proche de Lui, la voie qui mène à Lui. En effet, l’Imam Rabbani (kuddissasirru) nous délivre ces sages paroles :

Sachez parfaitement que le cœur est le voisin de Dieu, qu’il n’y a rien de plus proche à Lui que le cœur. Dès lors, qu’il s’agisse d’un croyant ou d’un impie, évitez de froisser et de briser le cœur de votre prochain ! Même si ton voisin est un athée, sa dignité doit être préservée. Tenez-vous donc le plus loin possible de l’offense ! Car, hormis la mécréance et le polythéisme, aucun péché n’encoure plus la Colère Divine que la vexation de son semblable ; car de tout ce qui a été créé, seul le cœur est en mesure d’atteindre la proximité de Dieu. “ (III. Volume, 45. Mektup).

En d’autres expressions, ceux qui brisent le cœur de leur prochain causent du tort à l’organe qui est à même de faire parvenir au Divin. Pour renchérir, le cœur constitue le centre de communication entre ce monde et le monde métaphysique. Le cœur s’intéresse d’une part à l’univers commun, et d’autre part à l’univers de la loi. Toutes les choses qui constituent un homme proviennent soit de la communauté ou soit de la loi de la nature. Le cœur est donc un intermédiaire, un pont entre ces deux mondes. Dans les degrés d’élévation, la spiritualité de l’homme lui permet de franchir toutes les composantes de ces degrés jusqu’aux fondamentaux. Par exemple, l’on passe préalablement par l’élévation à l’eau… Il s’en suit l’élévation à l’air, ensuite à la chaleur, puis les fondamentaux de la spiritualité, après le chapitre du façonnement, encore le niveau de la maturité, et enfin l’élévation au degré voulu par Dieu. En ce qui concerne le cœur, son élévation ne connait pas la même réalité comme dans la précédente… En effet, il n’existe pas de degré fondamental vers lequel s’élèverait le cœur… Mais bien au contraire, l’élévation débute même à partir du cœur vers le Majestueux Créateur. L’ami de Dieu Yunus(kuddissasirru) nous résumeainsi les paroles de l’Imam Rabbani (kuddissasirru) dans ce chant poétique :

Le cœur, demeure du Divin

Le Divin regarda le cœur

Celui qui offense un cœur

Aurait ruiné son bonheur dans les deux mondes.

Quant au saint MawlanaRûmî (kuddissasirru), il résume à l’idiotie l’attitude de ceux qui sous-estiment et n’évitent pas de vexer, de briser le cœur d’autrui :

Vous connaissez pertinemment Celui qui réside à l’intérieur de cette demeure qu’est le cœur ; que signifie donc cette irrévérence dont vous faites montre devant la porte du Propriétaire de ce cœur ? Les idiots ont de la révérence à l’égard de la mosquée qui représente l’œuvre humaine, et étrangement, ils ne manquent pas d’offenser le Propriétaire des cœurs. “ (Mathnawî, II, 3108-109)

Selon l’Imam Rabbani, le musulman doit s’efforcer de ne pas blesser le cœur de son prochain tout en observant les limites de la sentence divine. La problématique fondamentale qui se pose ici, c’est d’éviter de suivre ses propres passions, car la peine du coupable doit être infligée proportionnellement aux normes sacrées établies par Le Sublime Créateur. Outrepasser ces limites, c’est commettre une oppression face à l’infraction commise. L’Imam nous dit :

Les humains sont tous les esclaves de Dieu l’Exalté. Tout maître s’offusquerait si son esclave était battu ou injurié. Dès lors, si l’on s’imagine la Gloire et l’Immensité de l’Absolu Maitre Dieu Le Loué, on doit méditer sur Ses créatures en demeurant dans les limites qu’Il a établies… Loin de porter atteinte à la dignité d’autrui, la méditation doit être au diapason avec la loi divine. Par exemple, celui qui commet la fornication sera passible d’une peine de cent coups de fouets. Si toutefois, une personne transcendait les limites en excédant ce nombre de coups, elle aurait commis une offense.

Que Dieu, dans Son Infinie Bonté nous préserve d’être coupables et aussi victimes de vexation ; et qu’Il fasse que nous ne soyons pas du nombre de ceux qui violent les droits d’autrui!

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