L’homme et la religion à l’époque moderne
Ahmet Taşgetiren
En matière de valeur, ce qui était le plus nécessaire pour le premier homme apparu sur terre, autrement dit pour le premier homme créé, a été la réponse à la question relative aux préférences concernant le soi-même et le monde qui l’environnait.
Au moment où le second être humain fit son entrée, encore une fois du point de vue de la « valeur », la question concernant le devenir du cadre de relation entre deux personnes fut un sujet mis à l’ordre du jour. À partir du moment où le nombre de personnes augmente, la recherche des valeurs qui est le propre de toute société devient évidemment nécessaire. C’est à ce moment-là que l’on fait face aux réponses aux questions relatives à l’islam, aux religions divines et à la conception du premier homme en tant que premier prophète. Quant au prophète, il est considéré comme le guide religieux qui porte en lui tout savoir, tout message et toute information du Créateur à destination de l’homme. Le message originel provenant du Créateur est connu sous le nom de « wahy », et l’ensemble du « wahy » sous-tend une religion divine. Alors qu’est-il dit dans les autres interprétations ? Par exemple, dans l’interprétation de Thomas Hobbes on y apprend que « l’homme entreprend son chemin comme un loup au milieu d’autres loups. Le principe de se dévorer les uns les autres, les conflits, les heurts, le désir de tuer… cela dure pendant des années. Puis l’homme s’aperçoit que tout cela ne mène à rien. Arrêtons le conflit, dit-il, formons une force supérieure, accordons-lui le droit de résoudre les différends entre nous et soumettons-nous à sa domination. Hobbes pense que l’État et les principes qui en découlent sont apparus de cette manière. Mais il ne s’est pas arrêté ici. Il continue en disant que dans les étapes suivantes (de l’État), la force qui lui est reconnue se transforme en monstre. Le nom de ce monstre figure dans la Bible et représente une créature effroyable connue sous le nom de Léviathan.
Thomas Hobbes, dans son ouvrage intitulé « Léviathan, la puissance, la forme, d’une religion et du contenu de l’État du monde », explique ce concept de la manière suivante :
Afin de se protéger de l’invasion des étrangers, d’éviter les attaques néfastes livrées entre eux dans le but de mettre en sécurité leurs industries et leurs biens sur terre, ils (les citoyens) réunissent ce qu’ils possèdent en termes de force et de puissance et les confient à une seule personne ou à un groupe d’individus… Tous les membres de la société doivent se dire alors : « Moi je renonce à mes droits et je décline mes droits que je cède à une seule personne ou un groupe d’individus. Cet État se nomme civitas en latin et signifie la naissance du grand Léviathan. Cette explication laisse percevoir d’abord qu’il existait déjà un besoin de valeurs dans les sociétés antérieures, une autorité qui assurait la bonne conduite des relations humaines et la sécurité en matière de préservation de ces valeurs. Un troisième point prévoyait également pour les gens un appel à respecter cette autorité représentative et les décisions qu’elle prenait.
Mais Hobbes ici ne perd pas de vue le danger de l’état monstrueux qui est l’autorité représentative. En réalité le problème qui existe en l’homme est celui-ci : comment maîtriser la force ? Même le plus faible des hommes possède une force et dans le cas où celui-ci utilise cette force de manière immodérée toute l’humanité pourrait être en danger. Lorsque la force de l’homme atteint des dimensions incroyables, son utilisation peut entraîner une destruction universelle. Selon l’analyse de Hobbes, L’État apparu comme étant force coordinatrice est une organisation dirigée par des personnes. Hobbes ne fait pas de différence entre monstruosité et transformation en « Léviathan » d’une organisation humaine. Ainsi donc apparaît la nécessité d’une valeur et d’une responsabilité supérieures limitant à quiconque sa force et la force de celui qui est doté d’une conscience d’État. Autrement dit le choix est là : soit la force définit toute chose et dans le plan l’homme et celui de l’État, soit une cohésion de puissance finale est responsable de toutes les forces… Quand la force devient un facteur déterminant, le travail en réalité, elle porte à chaque fois ce risque de se transformer en « guerre des monstres ». Le Coran évoque le fait qu’il existe en l’homme « une force qui l’incite régulièrement au mal ». Cela signifie également l’émergence d’une guerre émeutière pour l’homme individuel et pour tous les organismes…
Lorsque nous considérons notre époque, nous nous apercevons que notre monde est transformé par l’action de petits et grands monstres en état de guerres ouvertes et froides. Il est incontestable qu’au fur et à mesure que la force s’accroît, le besoin de la maîtriser augmente aussi proportionnellement. Parce qu’une force non contrôlée s’ôte toute qualité de force positive et est prête à tout moment à se transformer « en force destructive ». Également à notre époque, grâce aux progrès scientifiques et technologiques, l’homme a atteint en vérité une force extraordinaire. Si le principe de « l’homme est un loup pour l’homme » continue d’exister jusqu’à présent dans les veines de l’homme, celui-ci se trouve doté d’une force extraordinaire pour exterminer ses congénères et même toutes les choses présentes dans l’univers. Avec des armes de destruction massive, vous pouvez détruire des pays et des communautés de personnes. En manipulant les gènes de l’homme, vous pouvez produire des êtres différents. Vous pouvez suivre l’évolution de la vie du fœtus dans le ventre de sa mère et vous renseigner d’ores et déjà sur lui. Vous pouvez constituer des charniers remplis de cadavres à Guantanamo, en Palestine, en Bosnie, en Tchétchénie ou au Rwanda. Qu’est-ce qui arrêtera l’homme ? Supposons qu’il s’agisse du Léviathan de l’époque ou de l’Amérique, qui le stoppera ? Que ce soit la Chine, la Russie ou Israël, qui et comment arrêter cette force par la force ? On dit qu’heureusement il existe un équilibre à la terreur et qu’à cause de cela les armes de destruction massive ne sont pas utilisées parce que l’utilisation d’une seule de ces armes mettrait le monde entier à feu et à sang. Sinon, méditez ici ce dilemme irréductible : il est nécessaire d’avoir de la force pour vaincre la mort afin que la vie de l’humanité puisse continuer ! En réalité, la famille humaine n’est pas sans recherche de valeurs qui lui soient tangibles. Quant aux droits de l’homme ou de l’ordre universel, d’aucuns pensent voir les « contrats universels » comme étant le reflet de recherche d’une valeur supérieure sur le plan universel. Dans les derniers temps le besoin de « valeur éthique » qui fait régulièrement la une des quotidiens exprime l’indigence totale d’une valeur supérieure, conjonctive. Mais la sensibilité même de valeur éthique peut rester non significative à l’encontre de la relativité de l’homme à s’autodéterminer. Par exemple, les USA et la Turquie sont deux nations qui n’ont pas signé les accords de Kyoto. Notons au passage que ces accords sont issus d’une convention définissant les principes de l’équilibre écologique et de la protection de l’environnement. Que l’air, l’eau et les moissons soient préservées ! Que l’homme ne s’intoxique pas quand il respire ! Encore une fois, les USA et la Turquie n’ont pas signé ces accords. Prenons le clonage humain… aux yeux de la valeur éthique, la science ne prend pas cette prospection comme quelque chose de vrai (dans le sens d’authentiquement normal), tandis que dans l’autre flanc des gens font marcher leurs valeurs éthiques et peuvent légitimer le fait qu’ils jouent avec le destin de l’humanité. À toute l’humanité la religion apporte une valeur suprême. Dans ce cas précis la religion fait savoir que le « Créateur » est le déterminant de ces valeurs. La religion part du principe que ces valeurs relient tous les détenteurs de force. En d’autres termes « Il » est le Détenteur absolu de la puissance. À côté de Sa force, il n’est pas question d’autres forces personnelles ou même de Léviathan. Ni en Son nom ni en Son opposition nul n’a le droit d’être Léviathan. Il ne veut pas que la perversion règne sur terre et que les hommes agissent dans la désobéissance. Pour tout le monde, toute force demeure dans le cercle des limites sacrées (ou divines). Celui qui désobéit fera face à la puissance divine. Car certes une partie des sanctions est réservée dans l’au-delà, mais le sentiment de responsabilité envers Allah est le cadre moteur de l’éducation de toutes les religions ; cela n’étant pas une entrave que d’appliquer des sanctions autour du « cercle des limites divines » sur terre. Dans le cas où ce cercle n’est pas pris en compte, un domaine de force incontrôlable se forme tant et si bien qu’on le nomme « oppression ». Dans les milieux où le contrôle est à son minimum, une atmosphère d’oppression se forme à tout moment. Est-ce que les gens peuvent ne pas devenir monstrueux en utilisant le cercle des limites sacrées ? Bien sûr que oui. Mais dans ce combat ils peuvent agir en se souvenant de ce cercle. « Allah n’aime ni l’oppression ni la cruauté ! »
Mais en réalité la recherche de la « valeur éthique » est une recherche de « religion ». L’homme qui fuit la maison d’Allah sait, après s’être cogné la tête de pierre en pierre, qu’il ne peut pas mener sa vie dans des valeurs dispersées et, à partir de ce moment, en ce qui le concerne, le besoin de se discipliner se fait sentir. Pour cela, en lieu et place de recourir à nouveau aux sources divines, il s’est mis à créer de la valeur. La valeur éthique n’est rien d’autre que l’orientation aux valeurs communes de toute production humaine.
Pourtant, l’exemple encore plus englobant des choses dites « valeurs éthiques » prend place aussi dans les mesures divines. Et puis, avec le souci de maintenir leurs différentes responsabilités envers Allah, les savants musulmans décrivent la religion comme étant ta’zim li amrillah- chafkat li halkillah[1]. Cela signifie concevoir les ordres d’Allah en tant que valeurs suprêmes et avoir de la miséricorde envers les créatures d’Allah. D’une part, nous avons une relation primant la miséricorde entre tous les êtres ou l’instauration d’un système social mettant en priorité la miséricorde et d’autre part une familiarisation avec des ordonnances telles que la foi en Allah, l’aumône, la déférence… le rapport du contrôle de la force par la force divine… Ce qui dans l’histoire islamique a reflété la civilité de l’État peut être résumé dans la phrase suivante : « Ne sois pas arrogant mon sultan, il y a un Dieu plus grand que toi. » Par ailleurs, le même avertissement avait été donné au Prophète (pbsl) par Allah :
« (…) et tu n’es pas un dominateur sur eux. » (Coran, al-Gasiyah, 88/22)
Dans un rapport homme-religion là où l’on dit que le Prophète (pbsl) même n’est pas dominateur, il n’est donc pas imaginable que les hommes religieux deviennent des dominateurs. Si nous jetons un coup d’œil dans le Coran, nous verrions comment des hommes ont dévié de la voie divine en prenant d’autres hommes pour des dieux (cf. Coran 9/31). L’islam, en tant que religion, a rassemblé tous les domaines liés à la force et Allah a restreint la source de la légitimité de tous par les comptes qui seront rendus. À cause de cela, chaque force est contrainte de rendre son mode d’emploi justifiable devant Allah… Certes nous sommes parvenus à une époque où la descendance humaine est particulièrement confuse et nous l’avons supporté. Il n’y a qu’une seule réponse à la question « de quelle manière les confusions de l’esprit humain seront-elles arrêtées ? »
C’est en se tenant à l’islam, ce chemin que le Créateur a tracé à l’attention de l’humanité que l’homme sera apte à réformer son cœur et son intelligence en suivant l’exemple de Hazrat Muhammad Mustafa (pbsl), le Messager d’Allah…
[1] Ta’zim li amrillah – chafkat li halkillah (Accepter la grandeur, la supériorité d’Allah. Avoir de la miséricorde pour les créatures qu’Allah a créées.) Voir notre article : La question vitale : jusqu’à quel point suis-je musulman ? Islam Magazine n°3 (ou en ligne sur www.magazine-islam.com).