Des Bouchées subliment l’Homme et d’autres le Tuent
Mehmet Lütfi Arslan
L’alimentation est un sujet qui se situe à l’intersection de la vie matérielle et spirituelle sur laquelle elle influe. En premier lieu les caractéristiques et qualités des aliments affectent directement la santé du corps et du cœur.
Il ne suffit pas de fournir au corps des protéines, des glucides et des graisses en quantité suffisante, encore faut-il qu’elles soient licites (Halal) pour préparer au mieux la vie éternelle. Cela nécessite la prise en compte de nombreux aspects supplémentaires de la nutrition, depuis l’achat, la préparation et la présentation car il est des bouchées qui nous propulsent dans la spiritualité des cieux tandis que d’autres nous embourbent dans les fossés de la misère. Bien qu’en apparence il n’y ait aucune différence entre ces deux bouchées, les diverses étapes allant de l’acquisition à la digestion varient entre elles. La nature de ces étapes détermine la qualité de notre vie tant sur le plan matériel que spirituel. Celui qui prête une grande attention à l’origine et à la provenance de sa bouchée se sera certes rendu la plus grande faveur, tandis que celui qui ignore tout cela, n’aura fait que persécuter son âme.
Cette problématique liée à la nourriture est si importante que la porte de l’épreuve, qui débuta avec le renvoi de l’homme du Paradis vers ce bas-monde, fut ouverte suite à la violation d’un interdit se référant à ce sujet.
En consommant de l’arbre[1] Que notre Seigneur leur interdit, notre père Adam (a.s) et notre mère Ève (a.s) furent les premiers à subir l’épreuve, que nous subissons et subirons tous jusqu’à la fin des temps, à travers cette action de « manger » exprimé dans le Coran :
« Ils mangèrent alors du fruit défendu et aussitôt leurs nudités leur apparurent. Ils tentèrent de les couvrir avec le feuillage du Paradis. Adam venait de désobéir à son Seigneur. Il s’était ainsi égaré. » [Tâhâ, 121].
Ainsi donc consommer des nourritures prohibées détériore le caractère moral et la pudeur et entraîne vers la révolte. C’est pour cela que la recherche de bouchées licites et saines est un des principaux devoirs du rôle divin confié à l’homme.
Celui qui souhaite ne pas s’égarer, ni se révolter envers son Seigneur, doit alors prêter attention à son alimentation. Mais hélas de nos jours, les interventions des industries alimentaires sur les semences, le sol et la nature fragilisent le contrôle méticuleux de notre alimentation et le rendent plus souple. Le pain est contaminé, l’eau est contaminée, de ce fait le pain qui est fait d’eau et les moyens d’obtenir du pain et de l’eau sont contaminés. Les mésactions des êtres humains sur terre et dans les mers y ont provoqué des dépravations qui, outre le fait de diminuer la qualité de la nourriture, laisse l’humanité seule face à l’émergence de nouveaux problèmes surnaturels[2] (dont la dégradation écologique). Il est clair que la nourriture qui ne peut pas répondre aux conditions telles que définies pour le halal et l’hygiène fera perdre à l’individu son équilibre naturel et entraînera une dépravation qui détruira ses mondes d’ici-bas et de l’au-delà. Dans le Saint-Coran, il est dit que celui qui cherche à semer le désordre sur Terre commence par détruire les récoltes et les biens :
« Il est parmi les gens celui qui te séduira par ses propos sur la vie en ce monde ici-bas. Il va jusqu’à prendre Allah à témoin sur ses intentions alors qu’en réalité il est un parfait fauteur de troubles, car, dès lors qu’il te tourne le dos, il parcourt la Terre et s’emploie à y semer le désordre, détruisant les biens et les récoltes. En vérité, Allah n’aime pas le désordre ». [Al-Baqarah (La Vache), 204-205]
La récolte, exprimée par le terme « حرث » dans le verset coranique susmentionné peut signifier à la fois l’équilibre de la production ou les conditions économiques, mais aussi, les champs d’agriculture, la culture et les habitudes alimentaires. L’amélioration des graines révélée en 1950 avait pour but de fournir plus de nourriture à l’être humain. Des applications telles que la mécanisation, l’irrigation et l’utilisation des médicaments ont entraîné de sérieuses augmentations dans la production céréalière. Mais cependant, ces augmentations obtenues à court terme ont très vite laissées la place aux coûts sévères acquis par expérience sur moyen et long terme. Ainsi, la terre perdit de sa qualité, l’eau devint contaminée et l’utilisation à grande échelle de produits chimiques eut un effet négatif sur la production. Le fait que l’agriculture soit basée sur des engrais artificiels et des produits chimiques, a rendu les pays pauvres dépendants des pays développés. Les graines infertiles qui ont stérilisé les terres qui étaient abondantes, ont désormais détruit l’agriculture classique et rendu les producteurs dépendants.
L’intervention sur les cultures qui a conduit à la naissance de grands cartels alimentaires dans le monde a atteint une nouvelle étape avec les Organismes génétiquement modifiés (OGM). Cette nouvelle phase consiste à modifier des organismes par transgénèse, c’est-à-dire l’insertion dans le génome d’un ou de plusieurs nouveaux gènes. On prétend que les nouveaux produits émergeant de cette manière nécessitent moins d’engrais et sont plus résistants à la sécheresse, la chaleur, le gel, les bêtes et les maladies. Les trois quarts du soja, la moitié du coton et un quart du maïs actuellement cultivés dans le monde sont des produits OGM. Bien que la plupart des scientifiques présentent ces produits comme un espoir pour l’humanité, leur innocuité reste à prouver. Il est possible que ces produits OGM dont les effets dans le domaine d’intervention nous sont inconnus soient un des éléments de la guerre déclaré par Satan à l’homme qui a dit quand il fut maudit par Allah :
« Je les égarerai, j’éveillerai des désirs en eux. Il me suffira de leur donner un ordre, et ils fendront les oreilles du bétail, et il me suffira de leur donner un ordre, et ils modifieront l’aspect des créatures d’Allah » [An-Nisâ (Les Femmes), 119].
Fendre les oreilles des bétails peut indiquer la volonté, en cas de copie, de placer un signe distinctif[3] suite à une modification de la Création d’Allah Le Tout Puissant comme ce fut le cas du Mouton Dolly[4]. Il est bien entendu que les aliments ayant subi une intervention des OGM rentrent dans ce cas de la modification génétique de la Création divine. En conclusion, ce sujet se référant à l’alimentation est de nos jours devenu beaucoup plus sensible.
Alors, quels sont les points essentiels sur lesquels celui qui veille méticuleusement à la licéité et la propreté de sa nutrition doit faire attention ?
Le premier point concerne l’approvisionnement. La mesure à prendre sur ce sujet est la licéité. Cette dernière a été déterminée par Allah Le Tout Puissant :
« Ils t’interrogent à propos de ce qui leur est licite. Dis : Vous sont rendues licites toutes les bonnes choses » [Al-Mâ’ida, 4].
A propos, il est également la parole prophétique est rapportée dans le Hadith suivant :
« Voilà un homme un homme qui, ayant longtemps voyagé, est échevelé et sale et qui lève ses mains vers le ciel et dit : «Ô Seigneur ! Ô Seigneur !» Alors que sa nourriture est illicite, que sa boisson est illicite, que ces vêtements sont illicites et qu’il s’est nourri par un moyen illicite, alors comment peut-il être exaucé ? » [Mouslim, Zakât, 19].
L’antonyme du licite (Hâlâl) est l’illicite (Haram). Ces deux sont connus et évidents.
La beauté de la foi du croyant dépend de sa vigilance sur ce qui est douteux et ce qui se trouve entre le licite et l’illicite[5].
Tout comme l’employeur doit veiller aux droits de ses employés pour que sa subsistance soit licite les employés doivent être stricts dans le respect de leurs horaires de travail et les commerçants dans leurs traitements.
Le deuxième point concerne la pureté. Le Saint-Coran exprime ce terme par « Tayyib » qui signifie pur. L’alimentation « Tayyib », est à la fois saine, agréable et nutritive mais aussi la cause d’une nutrition du dévoilement de l’univers du cœur. L’antonyme en Arabe de Tayyib (طيب) est Khabaïth (خبث) qui se traduit en Français par « vice, impur etc…
Les aliments purs permettent d’accomplir des actes qui satisfont Allah Le Tout Puissant et ceux qui sont impurs entraînent l’individu vers l’accomplissement d’actes prohibés par le Seigneur. L’honneur de l’être humain est lié à la pureté de l’alimentation. L’être humain qui consomme des aliments purs préserve sa dignité et bénéficie donc des rangs promis par Allah Le Tout Puissant. Dans le cas contraire, il sera affligé par la turpitude et la dégradation morale.
Quant au troisième point, celui-ci concerne la dépense en aumône. Le troisième devoir qui nous est imposé après la foi dans l’invisible et la prière est le partage de ce que nous apprécions de la « bouchée » qui consiste notre subsistance. Certains ont plus de subsistance que d’autres et donc il est bon que ceux qui en ont le plus partagent avec ceux qui en ont le moins. La charité doit être effectuée non seulement dans une situation d’abondance, mais aussi, dans la pauvreté. Lors du partage, il ne faut pas trop la morceler, ni la disperser irresponsablement. Enfin et c’est un point important pour la validité de nos actes de charité après avoir effectué cette dépense il ne faut pas attendre en retour de remerciement et il ne faut pas non plus rappeler notre générosité à celui qui en est le bénéficiaire. Il faut au contraire remercier notre Seigneur en signe de servitude pour cette grâce qu’Il nous a offert :
« Mangez de ce qu’Allah vous a attribué de licite et d’excellent et rendez Lui grâce pour Ses bienfaits, si c’est bien Lui que vous adorez ! » [An-Nahl (Les Abeilles), 114]
Le quatrième point consiste au choix des personnes compétentes dans toutes les étapes de l’alimentation débutant par l’approvisionnement et s’achevant dans l’estomac.
Lorsque Khidir (a.s) s’abstint de consommer le repas qu’il avait fait préparer pour lui, Abdul Khaliq Ghajadwani ç lui avait dit que ce repas était licite. Khidir (a.s) lui répondit alors : « Bien sûr qu’il est licite, mais le cuisinier l’a préparé avec colère ». Que ceux qui perçoivent avec difficultés ce détail méditent sur cette question : « Pourquoi les repas des mamans sont-ils les plus délicieux ? » Le repas dépend bien entendu de ses ingrédients et de la façon dont ils sont travaillés. Mais l’intention, l’invocation et l’observation de celui qui achète les ingrédients, qui les cuisinent, les servent ainsi que ceux qui reçoivent le repas participent également à la constitution de ce repas. Par conséquent, ils adhèrent à son destin.
D’ailleurs, le fait que Bahâ’uddin Naqshband ç préparait lui-même les repas de ses élèves était sans doute dû à sa miséricorde pétrie par les susmentionnées explications.
Le cinquième point consiste dans la simplicité. Selon notre mère la Sainte Aïcha c, plusieurs semaines passèrent sans que les gens d’Ahl al-Bayt ne placent leurs casseroles sur le feu pour cuisiner des plats chauds. Cette sainte famille joyeuse ne possédant pas assez de pain d’orge pendant deux jours consécutifs, leur repas était composé de dattes et d’eau. Malgré cela, elle ne put manger à sa faim.
Il n’y a pas de doute que personne ne peut rendre illicite ce qu’Allah Le Tout Puissant a rendu licite. Mais il faut bien comprendre la différence existante entre le fait de manger pour vivre et celui de vivre pour manger. Mener une vie simple est une exigence de la foi. Consommer de délicieux repas ou faire de la nourriture un ordre du jour essentiel de la vie afin de suivre un régime, comme l’exerce de nos jours l’être humain moderne, représente un acte non autorisé. Se contenter du raisonnable, ne pas trop abuser de nourriture et éviter le gaspillage doivent être l’emblème et le slogan du croyant.
Notre comportement doit être celui de notre bien-aimé Prophète e qui :
Lorsqu’il trouvait de quoi consommer, mangeait et remerciait son Seigneur et lorsqu’il ne trouvait rien à manger il patientait et ne se plaignait pas.
Il ne refusait aucune nourriture, mangeait s’il le voulait et la laissait s’il ne l’aimait pas.
Il ne s’adossait jamais lorsqu’il mangeait et recommandait de se laver les mains au début et à la fin du repas.
Prononçait toujours la «Basmallah»[6] au début du repas et mangeait de la main droite[7] de ce qui était devant lui.
Si le repas était prêt alors que c’était le moment de la prière il retardait la prière et faisait attention à ce que tous eussent mangé ce qui se trouvait devant eux et ne se servissent pas des aliments se trouvant devant les autres.
Il ne soufflait pas sur la nourriture ou la boisson, il ne respirait pas dans le récipient et buvait en trois gorgées.
Il voulait que les assiettes soient finies et ne donnait à personne ce qu’il n’avait pas mangé.
Il n’allait pas aux repas des orgueilleux, ni à ceux où des récipients de luxes étaient utilisés.
Il aimait les repas servis en grande assemblée.
Il sortait de table avant d’être rassasié et implorait Allah Le Tout Puissant pour l’hôte du repas.
Alors, nous qui sommes honorés d’être les membres de sa communauté, nous devons essayer d’adopter ce style de vie qui se démarque par sa simplicité et faire l’effort afin que nos bouchées soient licites et propres.
Les bouchées sont très importantes car soit elles subliment l’homme soit elles le tuent.
[1]. Satan les trompa en prétendant que c’était l’arbre de l’immortalité en le nommant «شَجَرَةِ الْخُلْدِ – Shajaratan al Khuld – c’est-à-dire l’arbre de l’éternité (Voir le verset 120 de la sourate Ta Ha).
[2]. Dont la dégradation écologique qui se traduit par exemple par les problèmes liés au réchauffement climatique.
[3]. Note des traducteurs pour mieux comprendre cette partie du verset :
Ibn Kathir fait dans son tafsir l’exégèse de ce verset :
“D’après Qatâda le fait de fendre les oreilles des animaux est comme un signe pour distinguer parmi eux les : Bahira, Sa’iba et Wasila.
Ajoutons que cette explication se rapporte au verset :
Allah n’a pas institué la Bahira, la Saïba, la Wasila ni le Ham, Mais ceux qui ont mécru ont inventé ce mensonge contre Allah, et la plupart d’entre eux ne raisonnent pas. – 5:103
Verset dont voici l’explication qui se trouve dans le livre d’Ibn Arabi « Ahkam al Kur’ân » :
“Bahira” signifie en langue arabe la chamelle qui a une oreille fendue.
“As Sâiba” signifie la chamelle laissée en liberté qui n’a aucun Berger.
“Al Wasila” concerne les moutons car les Arabes considéraient que la brebis leur appartenait si elle donnait naissance à une femelle en revanche si si elle accouchait d’un mâle elle appartenait à leur idôle.
“Al Hami ” signifie chameau étalon qui a assailli dix fois une chamelle qu’il a fécondée à chaque fois. Les Arabes dirent : « Il a protégé son dos » et laissèrent ce chameau en liberté. Il n’est pas monté et n’est pas utilisé pour la fécondation.
[4]. Dolly est une brebis célèbre pour avoir été le premier mammifère cloné de l’histoire à partir d’un noyau de cellule somatique adulte par l’équipe de Keith Campbell et Ian Wilmut chez PPL Therapeutics, en association avec l’Institut Roslin à Édimbourg en Écosse.
[5]. À ce sujet on peut rappeler le hadith suivant qui éclaire le sujet : « Annou’man Ibn Bashir (r.a) rapporte: «J’ai entendu le Messager de Dieu (pbsl) dire: «Les choses licites sont bien définies et les choses interdites sont bien définies. Entre les deux il y a des choses équivoques que peu de gens connaissent, Celui qui s’est mis à l’abri des choses équivoques a tout fait pour blanchir sa foi et sa réputation et celui qui s’y est laissé tomber est tombé dans les choses interdites, » (Al Boukhari, 52 Hadith 2051).
[6]. Autrement dit : La Basmala, ce qui signifie « Au Nom d’Allah ». Cette expression, qui doit être fortement prononcée avant chaque acte licite entrepris, signifie qu’on entreprend l’action grâce à la faculté qu’Allah le Tout Clément nous a donnée et vers laquelle Il nous a guidé.
[7]. Dans l’Islam, lors de la consommation de nourriture et boisson, comme pour tout autre acte de bien, la main droite doit être utilisée. Car il est rapporté dans un des Hadiths du Prophète, que le Satan – maudit soit-il – mange et boit à l’aide de sa main gauche. Pour éviter que nos actes ressemblent à ceux de Satan, il faut se conformer aux recommandations prophétiques.