Paroles de Sagesse Extraites du Mathnawi
Muhammed Roussel
Comment l’ambassadeur de Rûm questionna le Commandeur des croyants (que Dieu soit satisfait de lui !) L’homme lui dit : « Ô Commandeur des croyants, comment l’esprit est-il descendu sur la terre ? Comment l’oiseau de l’infini est-il entré dans la cage ? » Il répondit : « Dieu a récité des sortilèges et des incantations sur l’esprit. Quand II récite Ses sortilèges sur les non-existences qui n’ont ni yeux ni oreilles, elles commencent à s’agiter. A cause de Ses sortilèges, les non-existences en ce moment entrent en dansant joyeusement dans l’existence. Lorsque de nouveau II a récité Ses incantations sur les existants, à sa parole les existants sont retournés en toute hâte à la non existence. Il a parlé à l’oreille de la rose, et l’a fait rire ; Il a parlé à la pierre et en a fait une cornaline. « Il a adressé au corps un message, de sorte qu’il est devenu esprit ; Il a parlé au soleil, de sorte qu’il est devenu rayonnant. De nouveau, Il prononce à l’oreille une parole effrayante, et sur la face du soleil tombent cent éclipses. Considère ce que l’Orateur a chanté à l’oreille du nuage pour que les larmes coulent de ses yeux. Considère ce que Dieu a chanté à l’oreille de la terre, de sorte qu’elle est devenue soucieuse et depuis est restée silencieuse. A celui qui est troublé par la perplexité, Dieu propose à l’oreille un dilemme, afin de pouvoir l’emprisonner dans deux pensées : “ Ferai-je ce qu’il m’a dit, ou le contraire ? ” Cela provient de Dieu aussi, qu’un côté l’emporte, et c’est ainsi qu’il fait son choix dans cette alternative. Si tu ne veux pas que ton esprit soit perplexe, ne mets pas de coton dans ton oreille spirituelle, afin de pouvoir comprendre Ses énigmes, afin de pouvoir saisir le signe secret comme le manifeste. Alors, l’oreille spirituelle devient l’endroit où descend l’inspiration (wahy). Qu’est-ce que wahy ? Une parole cachée à la perception sensorielle. L’oreille et l’œil spirituels sont autres que cette perception sensorielle, l’oreille de la raison et l’oreille de l’opinion sont privées de cette inspiration. Le mot Djabr1 m’a rendu impatient par amour, tandis qu’il a rendu captif du Djabr celui qui n’est pas amoureux. C’est là l’union avec Dieu, ce n’est pas le fatalisme ; ceci est le rayonnement de la lune, ce n’est pas un nuage. Et si c’est un fatalisme, ce n’est pas le fatalisme que comprend le vulgaire : ce n’est pas la contrainte exercée par (l’âme) qui ordonne le mal et qui ne voit qu’elle-même. Ô mon fils, seuls savent ce qu’est le Djabr ceux dans les coeurs desquels Dieu a ouvert la vue spirituelle. Pour eux, les choses invisibles de l’avenir sont devenues manifestes ; pour eux, le souvenir du passé est devenu néant. Leur libre arbitre et leur fatalisme sont différents : dans les coquilles d’huîtres, les gouttes de pluie sont des perles. En dehors de la coquille, c’est une goutte d’eau, petite ou grande ; mais à l’intérieur de l’huître, c’est une perle, petite ou grande. Ces personnes ont la nature de la glande du daim musqué ; extérieurement, elles sont pareilles à du sang, mais à l’intérieur d’elles-mêmes, il y a le parfum du musc. Ne dis pas : « Cette substance est extérieurement du sang : comment pourrait-elle devenir un parfum musqué quand elle pénètre dans la glande ? » Ne dis pas : « Ce cuivre, extérieurement, était méprisable : comment pourrait-il acquérir de la noblesse dans le coeur de l’élixir ? » En toi, ce libre arbitre et ce Djabr n’étaient qu’une imagination ; mais quand ils pénétrèrent en eux, ce devint la lumière de la Majesté divine. Quand le pain est enveloppé dans une serviette, c’est une chose inanimée ; mais dans le corps humain, ce devient l’esprit joyeux de la vie. Il ne devient pas transmué à l’intérieur de la serviette : l’âme (animale) le transmue avec l’eau de Salsabîl. Ô toi qui lis bien, tel est le pouvoir de l’âme : quel doit donc être le pouvoir de cette Ame de l’âme ? Le morceau de chair qu’est l’homme, doué d’intelligence et d’âme, fend la montagne, la mer et la mine. La force de l’âme qui fend la montagne apparaît dans le fait de casser des rochers ; la force de l’Ame de l’âme, dans la lune se fend. Si le coeur retirait le couvercle de ce qui recèle ce mystère, l’âme se précipiterait vers le plus haut ciel. (Mathnawi Livre 1; 1450 – 1479.) « Cache tes (bonnes) actions non seulement aux yeux des autres, mais aussi à tes propres yeux, afin qu’elles puissent être en sécurité loin du mauvais œil » (Livre 2 ; 1501) Comment le mérite et la sagacité de Luqman devinrent manifestes à ceux qui l’avaient mis à l’épreuve Lorsqu’un aliment était apporté au maître de Luqmân, il envoyait quelqu’un chez lui Afin que Luqmân puisse y mettre la main et que le maître mange ce qu’il en laissait. Il mangeait ses restes et était enthousiaste : toute nourriture que Luqmân ne goûtait pas, le maître la jetait ; Ou, s’il en mangeait, c’était sans coeur et sans appétit : c’est là le signe d’une intimité sans bornes. On avait apporté un melon en présent. « Allez, dit-il, appelez mon fils, Luqmân. » Quand il le coupa et lui donna une tranche, Luqmân la mangea comme si c’était du sucre et du miel. En raison du plaisir avec lequel il l’avait mangée, il lui offrit une seconde tranche, et ainsi jusqu’à la dix-septième tranche. Une tranche restait. Il dit : « Je vais la manger, pour voir quel doux melon c’est. Luqmân le mange avec un tel plaisir qu’à voir son délice, on a du désir et de l’appétit pour ce morceau. » Dès qu’il le mangea, par son amertume fut allumé un feu qui lui écorcha la langue et lui brûla le gosier. Il devint hors de lui-même pendant un moment à cause de son amertume ; puis, il dit à Luqmân: « Ô toi, mon âme et mon monde, « Comment as-tu fait de tout ce poison un antidote ? Comment as-tu considéré cette cruauté comme une bienveillance ? Qu’est-ce que cette patience ? Pour quelle raison est-ce grand courage ? Ou peut-être que dans ton opinion ta vie est une ennemie ? Pourquoi ne pas avoir habilement présenté une requête, disant : “J’ai une excuse ; attends un moment.” » Luqmân répondit : « De ta main généreuse, j’ai mangé tellement que je suis courbé en deux par la honte. J’avais honte de ne pas manger une seule chose amère de ta main, ô toi qui es doué de connaissance. Puisque toutes les parties de mon être proviennent de ta libéralité et sont plongées dans ton piège et ton leurre, Si je crie et me plains pour une seule chose amère, que la poussière de cent chemins soit répandue sur tous mes membres ! Si le melon jouissait du délice de ta main qui octroie le sucre, comment ce délice pourrait-il laisser quelque amertume à ce melon ? » Par l’amour, les choses amères deviennent douces ; par l’amour, les morceaux de cuivre deviennent comme l’or ; Par l’amour, la lie devient limpide ; par l’amour, la souffrance devient guérison ; Par l’amour, le mort est rendu vivant ; par l’amour, le roi est fait esclave. Cet amour, en outre, est le résultat de la connaissance : quelle stupidité ne s’assit jamais sur un tel trône ? A quelle occasion une connaissance déficiente donna-t-elle naissance à cet amour ? La connaissance imparfaite donne naissance à l’amour, mais pour ce qui est dépourvu de vie. Quand il voit dans un être inanimé la couleur de celui qu’il désire, c’est comme s’il entendait la voix du bien-aimé dans un sifflet. La connaissance imparfaite est incapable de discernement ; inéluctablement, elle prend l’éclair pour le soleil. (Mathnawi Livre 2 ; 1510 – 1536). Endnotes: 1. Djabr ; contrainte, dans l’acception psychologique, fatalisme ou déterminisme du point de vue philosophique.