L’Enseignement de L’Abnégation
Nous vous remercions de prime abord pour le temps consacré à cet enseignement. Nous vivons les jours de pèlerinage et de sacrifice. Les candidats au pèlerinage partagent avec nous leurs photos de joie et d’enthousiasme prises depuis l’aéroport. Au même moment, on assiste à l’arrivée en ville des bêtes de sacrifice. La communauté tout entière traverse des moments d’émotion et de liesse. Ceci dit, nous avons jugé bon d’aborder le sujet du pèlerinage et du sacrifice. Nous souhaitons particulièrement mettre l’accent sur le côté spirituel de ces actes d’adoration. On pourrait commencer déjà par le sujet du pèlerinage autour de cette série de questions: “Comment doit-on accomplir le pèlerinage ? Que devons-nous faire en Terre Sainte ? Et dans quel état devons-nous retourner au bercail ? ”
Que la louange soit rendue à Allah Y qui a fait de nous les membres de la communauté de Muhammad r, communauté du plus grand et honorable Prophète parmi les cent vingt-quatre mille Prophètes. Voilà une incommensurable grâce du Seigneur pour notre modeste personne. Allah Tout-Puissant nous informe par le biais de cette révélation contenue dans le Saint Coran que celui qui se soumet à Son Prophète r se soumet en fait à Lui :
« Quiconque obéit au Messager obéit certainement à Allah. »[1]
Nous devons donc assimiler nos adorations à la disposition spirituelle du Prophète r …
Comme on le sait la prière, synonyme d’entretien, d’ascension du serviteur vers l’Auguste Créateur, fut rendue obligatoire un an et demi avant l’émigration. Dieu nous dit :
« … Prosterne-toi et rapproche-toi ! »[2]
Dans la prière, tout comme la Kaaba est la qibla du corps, la qibla du cœur doit être Dieu. Telle est la prière que notre Seigneur attend de notre part. Comme ce verset le mentionne :
« Bienheureux sont certes les croyants, ceux qui sont humbles dans leur salat. »[3]
Trois ans et demi plus tard, pendant la deuxième année de l’émigration, le jeûne fut rendu obligatoire. Le jeûne est une démarche particulière vers la maturité spirituelle qui permet au serviteur de réaliser l’incommensurable valeur des grâces divines et nous amène à prendre conscience de nos responsabilités vis-à-vis de nos frères et sœurs en religion dont les conditions de vie sont plus dures que les nôtres. Ainsi le jeûne élargit l’horizon de notre conscience…
Le pèlerinage qui devint obligatoire la même année requiert un cœur spirituellement mature. C’est un acte d’adoration tridimensionnel : financier, physique et contemplatif. Le pèlerinage nous rappelle le Prophète Ibrahim u qui jouit de l’intimité divine grâce à ses biens. Allah U lui accorda l’abondance et la bénédiction dans ses biens et cette expression devint populaire “l’abondance d’Ibrahim al Khalil”. Pour protéger la foi en un Dieu unique, il fut soumis à une épreuve attentant à sa vie. Il fut jeté au feu, mais Allah U transforma le feu en un jardin de roses aux exhalations de musc après qu’Il ait ordonné :
« Ô feu, sois pour Abraham une fraîcheur salutaire. »[4]
En fin de compte, la seule épreuve qui lui restait à surmonter fut celle du sacrifice de son tendre et unique fils Ismaël u. Pendant un rêve Ibrahim u avait fait cet engagement : « Ô Seigneur ! Si Tu me fais don d’un fils, je le sacrifierai en Ton nom. »
C’est alors que le Prophète Ibrahim u fit, durant trois jours d’affilée, à savoir le jour de Tawriyah, d’Arafat et de l’Aïd, le même rêve. Dans ce rêve, Dieu lui rappelait qu’il devait s’acquitter de son engagement. Alors, sans aucune hésitation il prit son fils Ismaël u et lui expliqua la situation en cours de chemin. Tous deux se firent leurs adieux. Ils ne manquèrent pas de lapider le Diable qui leur apparut en cours de chemin pour souffler le mal dans leurs poitrines. Satan dit à Ibrahim u : “Ô vieil homme ! Le rêve que tu as fait est un rêve satanique. ” Et à Ismaël u il dit : “-Regarde ! Ton père te trompe ; il part t’immoler.” Tous deux lapidèrent le Diable. Ce fait recèle bien évidemment pour nous une leçon et c’est ainsi que lorsque nous disons « ÇóÚõæÐõ ÈöÇááøóåö ãöäó ÇáÔøóíúØóÇäö ÇáÑøóÌöíã» (Je cherche refuge auprès d’Allah contre Satan le lapidé) ce qui signifie que nous, en tant que musulmans, nous lapidons le Diable au moyen de bonnes actions et si nous ne le faisons pas c’est lui qui nous lapidera avec les péchés, les tentations et désirs vicieux de l’âme et suscitera en nous un grand vide spirituel.
Finalement, lorsqu’ils furent sur le lieu de sacrifice, Ibrahim u posa le couteau sur la gorge d’Ismaël u et tout en lui de ce qu’il avait de contraire à l’amour exclusif d’Allah et de désir éphémère se volatilisa. À leur place, l’amitié exclusive de Dieu prit place dans son cœur.
Dieu nous détaille cette réalité dans le Saint Coran :
« …Abraham ! Tu as confirmé la vision. C’est ainsi que Nous récompensons les bienfaisants…Et Nous perpétuâmes son renom dans la postérité. » (Voir les versets 103 à108 de la sourate as-Saffat)
Et regardez après la récitation de l’attahiyyat, Allah Tout-Puissant nous envoie les salutations sur Son Envoyé Mohammad r mais aussi sur Son Intime Ibrahim u.
Alors quand nous faisons une analyse du pèlerinage, nous réalisons que le premier tableau qu’il nous dessine, c’est l’abnégation que Le Seigneur attend de nous.
Cher maitre, vous avez abordé le sujet d’un cœur spirituellement mature. De quoi est-il question, à quoi faites-vous référence ?
Il s’agit du cœur en contact permanent avec Le Créateur. Un verset coranique enseigne :
اَلَا بِذِكْرِ اللّٰهِ تَطْمَئِنُّ الْقُلُوبُ
« …N’est-ce point par l’évocation d’Allah que se tranquillisent les cœurs ? »[5]
Bien entendu, ce n’est pas facile. Le cœur doit surmonter des étapes, s’épurer des désirs et passions mondaines, se doter de compétences spirituelles et être imprégné de la conscience et la perception selon lesquelles il est constamment sous la caméra et l’observation divine. Ainsi, il établira l’intimité avec Dieu. Dans l’école de ce bas-monde, Allah veut que nous sachions que :
وَهُوَ مَعَكُمْ اَيْنَ مَا كُنْتُمْ
« …Il est avec vous où que vous soyez. »[6]
Puisque où que nous allions le Seigneur est avec nous. Cela implique que nous devons nous efforcer sans cesse d’approfondir en nous ce sentiment et vivre en conséquent.
Plus loin, il est mentionné dans un autre verset :
وَنَحْنُ اَقْرَبُ اِلَيْهِ مِنْ حَبْلِ الْوَرِيدِ
« …Nous sommes plus près de lui que sa veine jugulaire. »[7]
Nous sommes censés purifier aussi nos sentiments. En effet, c’est Dieu qui a créé les sentiments ; Il est donc pertinemment informé d’eux. Puisque Dieu transcende toute barrière temporelle et géographique dans Son Essence, Il partage à tout moment la compagnie de toutes Ses créatures, à savoir les humains, djinns, animaux, Anges, plantes, bref, toutes les créatures visibles et invisibles… Le serviteur doit vivre avec cet état d’esprit. Ce niveau est appelé “Mârifatullah”. À ce niveau, il est question de connaitre Dieu au fond du cœur. La connaissance divine dans le cœur rend digne de l’assistance divine tel que noté dans ce verset :
وَاتَّقُوا اللّٰهَ وَيُعَلِّمُكُمُ اللّٰهُ
« …Et craignez Allah ! Alors Allah vous enseigne. »[8]
Quiconque emprunte la voix de la piété bénéficiera de l’aide divine.
Cher maitre, comment pouvons-nous établir une relation entre ce cœur spirituellement mature et le pèlerinage ?
Certaines choses qui nous sont rendues licites (Halal) dans la vie courante sont interdites (Haram) lors du pèlerinage. Par exemple, le verset 197 de la sourate Al Baqarah à ce sujet nous parle de rapport sexuel, de perversité et de dispute. On doit donc éviter les querelles. Lors du pèlerinage, le croyant vit au plus haut niveau l’expérience d’une belle fraternité. Là-bas, point de propos et d’actes licencieux. La dispute… La toute première dispute se produisit entre Dieu et le Diable. En effet, Dieu lui dit :
« Allah] dit : “Qu’est-ce qui t’empêche de te prosterner quand Je te l’ai commandé ? ” Il répondit : “Je suis meilleur que lui : Tu m’as créé de feu, alors que Tu l’as créé d’argile.” »[9]
Et pourtant, Dieu n’avait pas demandé au Diable s’il était supérieur ou pas à Adam ; Il lui ordonna tout simplement de se prosterner. Cela nous montre que face à chaque injonction divine, le musulman devra se soumettre d’avance. Seul Allah connait la sagesse cachée derrière chacun de Ses ordres. Il nous a fait don d’un niveau d’intelligence limité. Et ce niveau consiste en la soumission, la servitude inconditionnée envers Lui…
Et puisqu’Allah nous donne cet ordre :
فَفِرُّوا اِلَى اللّٰهِ
« Fuyez donc vers Allah… »[10]
Alors pas d’acte licencieux quand on marche vers Dieu ! On doit être imprégné de délicatesse, de courtoisie… Pas de rapport sexuel, de dispute, de perversité, de querelle ! Allons plus loin, il est même interdit d’arracher une plante, de chasser, de tuer un animal. Même s’il y a nécessité de provision, pas de chasse. Qui plus est, il n’est pas permis non plus de montrer un animal au chasseur. Enfin même puisqu’on assiste a une simulation du port du linceul lors du pèlerinage, cela nous rappelle l’au-delà, la vie céleste. Il est essentiel de se rappeler de la vie après la mort. Et cette simulation est comme une pré-préparation au voyage vers l’éternel. Mais l’éveil de conscience qui pousse à cette préparation est le fruit d’une âme et d’un cœur purs et raffinés. Allah Tout-Puissant attend de nous un retour vers Lui; en état de pureté, tout comme nous l’étions au jour de notre naissance car ce Jour ni les biens ni les enfants ne seront d’aucune utilité sauf :
اِلَّا مَنْ اَتَى اللّٰهَ بِقَلْبٍ سَلِيمٍ
« Sauf celui qui vient à Allah avec un cœur sain. »[11]
Le pèlerinage est donc un exercice de nettoyage, de purification qui procure à l’âme la quiétude et la sérénité. C’est aussi un lieu d’enseignement de la proximité avec Le Créateur. D’autre part, il y a les Saintes Mosquées, le rassemblement des croyants, la prière, la prière en communauté… Le pèlerinage est synonyme de lien direct avec le lieu de naissance géographique de l’Islam. À cette occasion, le musulman partage avec son frère musulman ses joies et peines et un tableau d’union, de fraternité et de solidarité digne de l’agrément divin se dessine.
Telles sont les images censées être reflétées par le pèlerinage pendant lequel Dieu sollicite du croyant qu’il soit, comme précisé dans le verset coranique, à même de s’éloigner des disputes, rapports sexuels et querelles, et ce dans des circonstances qui réunissent les Musulmans de cultures différentes venus de partout dans le monde. Si on analyse les choses sous cet angle, on voit qu’un Architecte de la communauté émerge pendant le pèlerinage. Mais comparant l’Islam en Terre Sainte avec notre environnement proche, on voit que les musulmans ne parviennent pas à maintenir cette unité et cette fraternité observées lors du pèlerinage. Que doit-on faire pour préserver cette cohésion observée en Terre Sainte ou quelles sont nos défaillances qui empêchent de maintenir cet esprit communautaire enseigné par le pèlerinage ? Nous avons vraiment des problèmes à ce sujet. Comment pouvons-nous accéder à une communauté constamment unifiée ?
Pour améliorer leur commerce et augmenter leurs opportunités financières, les commerciaux organisent des séminaires. De temps en temps, ils se concentrent sur cette réalité commerciale quand la saison se présente. Les sportifs, avant de s’engager dans une compétition, se retirent dans des camps pour se perfectionner. Ils prennent entre eux l’engagement d’éviter les querelles et de ne pas quitter le camp.
Dans le pèlerinage, la même réalité se dessine, mais il est ici question d’une réalité spirituelle. On accomplit le pèlerinage pour se perfectionner. Par exemple, ce qui attire le plus notre attention, c’est la circumambulation qui rassemble vraiment une foule immense. Là, on doit éviter les querelles, comme à chaque endroit de la Terre Sainte. Bien évidemment, lorsqu’il est question d’une adoration physique, on peut parfois assister à des bousculades dans la foule. En telle circonstance, il faut faire preuve de courtoisie, de délicatesse et éviter les affrontements par tous les moyens. On se doit d’être très prudent à ce sujet.
Une fois, le tendre Prophète r lui-même avertit ainsi son loyal compagnon Omar t:
« Omar ! Tu es fort. Ne presse pas les gens pour accéder à la Pierre Noire ! Ne te gênes pas et ne gênes pas les autres ! Si tu le peux, approches-toi et embrasse la Pierre Noire sinon tends ta main, salues-la à distance, prononce la profession de foi, dis le takbir[12] et continue ton chemin. »[13]
Le Messager de Dieu r nous invite ici à montrer une certaine sensibilité dont nous devons faire preuve même au-delà du contexte du pèlerinage.
Sûrement, il se produit des coupures d’électricité lors du pèlerinage ; c’est-à-dire que des situations imprévues naissent parfois; toutefois, les mesures de délicatesse y sont observées. Mais une fois de retour au bercail, on ne parvient pas à préserver cette même délicatesse…
Muhammad Ikbal, célèbre penseur et philosophe pakistanais, rendit une fois visite aux pèlerins de retour chez eux et leur dit :
« Qu’avez-vous acheté au bazar de Médine ? Si vous avez acheté des biens matériels, sachez que même les bonnets et tapis de prière s’useront. Avez-vous emmené du pèlerinage avec vous la loyauté et la véracité d’Aboubakr et la justice d’Omar (Allez-vous la répandre) ? Avez-vous apporté avec vous le Coran, la pudeur et la foi d’Othman ? La connaissance d’Ali ? Allez-vous, à travers vos comportements, votre servitude et état d’esprit, transmettre tout ceci au monde musulman qui est privé de ces richesses spirituelles ? Avez-vous pu apporter tout ceci ? »
Ces mots doivent nous exhorter à une profonde réflexion. Le pèlerinage est le dernier pilier de l’Islam qui fut rendu obligatoire pendant la neuvième année de l’hégire. Cela démontre la nécessité de l’accomplir avec un cœur spirituellement mature. Bien sûr, c’est avec l’aide divine que le serviteur parvient à s’en acquitter correctement. D’ailleurs, lorsque nous prenons l’intention du pèlerinage, nous disons “Ô Seigneur ! Facilite-nous la tâche ! Facilite-nous ! ”
Cher maitre, le sacrifice, culte que les croyants vivent aussi lors du pèlerinage, concerne à la fois les croyants qui accomplissent le pèlerinage tout comme ceux aussi qui n’y sont pas allés. Quelle est la dimension concrète du pèlerinage ? Et quelle est sa dimension spirituelle aussi ?
Le sacrifice est survenu à la fin d’un long processus d’abnégation. Allah Tout-Puissant fit don d’une bête de sacrifice à Ibrahim u, en contrepartie de sa loyauté envers Lui… Oui, l’abnégation d’Ibrahim u, l’obéissance d’Ismaël u … Ibrahim u anéantit en lui-même tout ce qui était éphémère. En contrepartie, Dieu s’installa dans son cœur qui devint la demeure divine. Il devint l’intime de Dieu. Allah voyant sa fidélité, lui envoya un bélier et lui évita d’immoler son fils unique Ismaël u. Cela veut dire que la Fête du Sacrifice est en fait celle de l’abnégation. Cela détermine à quel point, nous aussi, devons faire preuve d’abnégation envers notre Seigneur ; c’est-à-dire jusqu’à quel degré sommes-nous prêts à sacrifier pour Dieu notre âme, nos biens, enfants et toutes les grâces dont nous jouissons.
La Fête du Ramadan est synonyme de piété, elle nous enseigne la piété. Nos acquis du Ramadan doivent envelopper toutes les phases de notre vie et comme la Fête du Sacrifice être l’occasion pour nous de faire preuve d’abnégation envers Dieu durant les phases de notre vie. En effet, Allah nous informe dans le Coran :
« Allah a acheté des croyants, leurs personnes et leurs biens en échange du Paradis…»[14]
Les termes “leurs personnes” et “leurs biens” figurent à dix différents endroits du Coran.
Cela signifie que Dieu nous a gratifié ces grâces comme éléments d’épreuve, pour que nous les dépensions pour Sa cause. L’expression “Vous serez éprouvés” est répétée à deux autres endroits du Coran ; donc à douze endroits au total, Allah nous montre avec insistance comment se servir de notre personne, nos biens et tout pour Lui manifester une soumission digne et se rapprocher de Lui. Et il ajoute dans le Coran :
« Ni leurs chairs ni leurs sangs n’atteindront Allah, mais ce qui L’atteint de votre part c’est la piété… »[15]
Ce faisant Allah U rappelle de façon implicite ce que Mawlânâ ç décrit par métaphore : “ La Fête du Sacrifice n’est pas un simple rite d’immolation de bête à l’échelle communautaire, ni un jour de boucherie, une journée de viande et de ripaille. Essaie donc de t’imprégner de la réalité concrète et spirituelle du sacrifice, et demande-toi : “Quel est le degré de mon abnégation à Dieu ?”
Le sacrifice est un acte d’adoration méditatif. Dieu a créé pour nous la bête que nous allons immoler pour Lui. Peut-on vraiment imaginer l’ampleur de notre dette de reconnaissance et de remerciement envers Lui ? Nous aurions pu, nous aussi, être crés en moutons qui auraient servi de bête de sacrifice aux hommes. Essayons donc toujours de nous mettre à la place des animaux que nous consommons. De même, prenons aussi en considération les débattements de la bête lors de l’égorgement. Là, Dieu nous confronte encore à un autre paysage. Le fait de rendre l’âme n’est pas du tout une tâche aisée… Face à cela, il est donc de notre devoir de méditer encore sur les bienfaits divins à notre égard.
Par exemple, feu mon père Mûsâ Efendi ç et feu Sâmi Efendi ç, restaient sur pieds et ne pouvaient pas s’asseoir en immolant leurs bêtes du sacrifice. La révérence… Ils demeuraient en état de révérence ; de la révérence envers L’Auguste Créateur. Ils prenaient la peine de couvrir les yeux de l’animal avec un tissu. Ils creusaient un trou profond ; puis, avant de passer à l’immolation de la bête suivante, ils versaient de la terre pour faire disparaitre les traces de sang de la bête précédente ou ils égorgeaient la bête suivante dans un autre trou. D’autre part, en conduisant la bête sur le lieu d’immolation, ils ne la piétinaient point ni la traitaient rudement; au contraire, ils la conduisaient tendrement, l’abreuvaient…C’est-à-dire que l’on doit réserver aux créatures un traitement similaire au traitement bienveillant et clément du Créateur envers Sa créature. L’on doit prêter attention à tous ces éléments lors de l’immolation.
Un tel incident se produisit à l’époque du Bien-aimé Prophète r :
Un homme, avant d’égorger sa bête, aiguisait son couteau sous le regard de l’animal. Le Prophète r assista à cette scène et en fut très attristé. Il dit à l’homme : “ Combien de fois vas-tu immoler ta bête ? Ne pouvais-tu pas aiguiser ton couteau à son insu ? ”[16]
Le Prophète r faisait ici allusion à la peur que la bête devait éprouver en voyant le couteau qui devait servir à trancher sa gorge. Par exemple, je me rappelle avoir été témoin d’un fait en Russie lors d’une immolation :
“ Nous devions conduire un taureau sur le lieu d’immolation. Mais l’animal se rendit lui-même sur le lieu, s’approcha du trou et s’allongea. Nous avons assisté à cette scène les yeux débordants de larmes.”
Parfois, Dieu nous rend témoins d’évènements pleins de leçons et d’avertissements. Le Musulman doit faire preuve de miséricorde en toute circonstance, car la miséricorde demeure sa carte d’identité. Lors de l’immolation de la bête, il ne faut pas délaisser la miséricorde. Le Prophète r est allé même jusqu’à ordonner d’abattre d’un seul coup le serpent lorsqu’il nous attaque et de ne pas le torturer en le tuant crapuleusement.[17]
Il est bien évident que le serviteur qui est ami avec Dieu sera ami avec Ses créatures.
Et puisque ce souvenir me revient à la mémoire, permettez-moi de vous raconter ce récit que me fit il y a environ cinquante ans mon défunt père Mûsâ Efendi çç:
À cette époque, les maisons de Médine n’étaient pas telles qu’elles le sont aujourd’hui. C’étaient plutôt des maisons faites de terre cuite. Mon défunt père raconte :
“Nous aménageâmes la chambre du Saint Sâmi Efendi ç à Médine, fîmes son lit et tout ce qu’il fallait. Juste au moment de l’installer dans sa chambre, nous vîmes un serpent enroulé sur lui-même au coin de la chambre. Nous étions tourmentés.”
Cheikh Sâmi ç, quant à lui, nous dit en toute placidité :
“ Laissez l’animal à lui-même et ne le touchez pas ! Il s’en ira tout comme il est venu.”
Mon défunt père ajouta :
“ Évidemment, nous remarquâmes plus tard que l’animal partit de lui-même.”
Cela veut dire que même un animal sauvage sera, tout comme le Créateur, bienveillant envers le serviteur qui regarde les créatures avec bienveillance. Tel est l’aboutissement des différentes étapes surmontées par le cœur… Mais ce n’est pas une éducation et une tâche aisées…
Le sacrifice rituel de la bête, n’est-il pas une action du cœur ? Bien sûr que c’en est une.
C’est pour cela que Mawlânâ ç a dit :
“La Fête du Sacrifice n’est pas un simple rite d’immolation de bête à l’échelle communautaire, ni un jour de boucherie, une journée de viande et de ripaille. Essaie donc de t’imprégner de la réalité concrète et spirituelle du sacrifice“.
En d’autres termes, en matière de sacrifice, le serviteur doit parler en victime et dans la langue de sa condition. C’est-à-dire que si son cœur est imprégné de la réalité spirituelle, la bête sacrifiée lui dira beaucoup de choses. Que lui dira-t-elle ? En fait, elle lui parlera de miséricorde :
“ Tu aurais pu être à ma place et moi à la tienne. Et oui, médite sur Celui qui m’a offert à toi comme bête d’immolation ! À quel point Lui es-tu soumis ? Tâche de ne pas Lui être ingrat !”
En bref, l’animal demandera des comptes au serviteur sur son degré de spiritualité.
“ J’étale mon cou pour mon Seigneur ! Et toi dis-moi jusqu’où irais-tu ? ”
Toute situation à laquelle Allah nous confronte, tout ce qu’Il a créé, toutes les particules jusqu’aux atomes dénotent des enseignements divins. Qu’Il nous permette d’accéder à Ses secrets enfouis dans tout ce qui nous entoure ! Amine ! Que nos vœux soient exaucés !
Il y a encore beaucoup de choses à faire à propos du sacrifice. Par exemple au sujet de la miséricorde qui relève vraiment d’une épreuve pour le musulman. Dans le Saint Coran, “Rahman et Rahim” sont les noms les plus mentionnés. Cela signifie que la miséricorde doit être la seconde nature du musulman. La finalité de ceci est le service qui représente un indice de la miséricorde. Citons un exemple tiré de la vie du Prophète r :
“Un groupe venu de la tribu de Mudar se présenta. Ils arrivèrent à Médine dans un état très pauvre et misérable. Le visage béni du Messager de Dieu r, constatant la situation, changea de couleur sous l’effet de la consternation. Il dit :
“Bilâl ! Fais l’appel à la prière ! ”
Lorsque Bilâl t fit l’appel, les gens se rassemblèrent.
Le Prophète r accomplit deux unités de prière avec eux puis il dit :
“Que chacun apporte ce qu’il a ! Ce n’est pas la zakat ! Que chacun apporte ce qu’il a ! ”
Un compagnon remplit un sac qu’il transporta difficilement sur les lieux. Un autre, le plus démuni, remplit sa paume d’orge et l’apporta comme sa participation. Le visage béni du Prophète r changea du coup et rayonna de joie au point de rosir. Il laissa paraitre un sourire sur son visage.[18] Maintenant, lorsqu’on y pense aujourd’hui…
Le Prophète r affirma ceci :
“…Lorsque je serai dans ma tombe, je ne ferai que répéter «ma communauté, ma communauté »[19].
Et le Prophète r ajouta : Allah Tout-Puissant nous dit également : « Certes, un Messager pris parmi vous, est venu à vous…qui est compatissant et miséricordieux. »[20]
Et : “…Vos bonnes actions me seront alors présentées et je m’en réjouirai ; il en sera de même pour vos actes répréhensibles, et je m’attristerai et implorerai le pardon divin.” [21]
Si vous le voulez bien, évoquons la fondation Hudâyî qui, comme vous le savez, offre des services, et notamment de sacrifice d’animaux. Elle organise des programmes d’immolation et de partage de viande presque partout dans le monde. Je pense que vous avez eu écho de la réalité de ces pays du tiers-monde, de leurs besoins en vivres, la pénurie, leurs conditions de vie généralement difficiles… Imaginons donc à quel point les gens de là-bas manifestent de l’intérêt pour les programmes de partage de viande organisés par la Turquie, et réalisons l’impact que cela aura sur eux. Je suis persuadé que vous avez reçu des réactions de ces personnes démunies.
Oui, beaucoup de rappels nous viennent de là-bas. Par exemple, tel que rapporté par ceux qui ont été délégués pour le partage de viande dans ces régions :
“ Certains parcourent une distance de deux heures à pied, d’autres viennent avec une ambulance chercher la viande. Ils viennent solliciter une grâce. Et pourquoi cela, parce qu’ils sont en pénurie de viande, ils ont extrêmement besoin de viande…”
Un incident très pathétique se produisit :
Un homme se présenta alors qu’il n’y avait plus de viande à partager. Tout désolé, il dit :
“ Cette année, je n’ai rien eu mais j’espère que l’année prochaine vous reviendrez. ”
Il y a aussi ce cas d’un de nos amis africains qui se présenta à nous l’an dernier et dit : “La Fête du Sacrifice approche. Sachez que dans mon pays beaucoup de personnes attendent impatiemment vos dons. ” Il nous transmettait en fait l’appel de nos frères et sœurs de ces régions aux conditions de vie difficiles.
Un autre fait eut lieu lors du partage de la viande. Un intellectuel local vint et affirma : “Les Ottomans ne vinrent en Afrique de l’Ouest que pour apporter de l’aide. Vous êtes les dignes descendants de Fatih Mehmet à propos duquel le Prophète r avait prédit qu’il conquerrait Istanbul en disant “áóÊõÝúÊóÍóäøó ÇúáÞõÓúØóäúØöäöíøóÉõ Assurément Istanbul sera conquise…”[22]
Vous êtes les petits-enfants du sultan Abdulhamîd Han. Pourquoi avez-vous mis tant de temps à fouler nos terres ? Une longue période s’est vraiment écoulée. Où étiez-vous ? Heureusement vous êtes enfin venus. Maintenant je vous prie de ne pas nous oublier ! ”
Le fait suivant eut lieu en Éthiopie lors de l’immolation de bêtes devant une mosquée : Une chrétienne arriva sur les lieux et dit :
“ Pouvez-vous me donner un peu de viande ? Mais sachez que je suis chrétienne.”
Ils lui répondirent : “Tu es certes une chrétienne mais tu es aussi une servante de Dieu.”
Ils lui donnèrent donc un morceau de viande. La dame embrassa le mur de la mosquée avant de s’en aller en disant : “ J’ai été traitée ici avec miséricorde…”
En bref, la bonté est une qualité hautement importante. Avant la conquête de La Mecque, le Messager de Dieu r avait fait don de cinq cent mille dinars aux pauvres de La Mecque. Puis ayant conquis La Mecque, tous ces pauvres en question se convertirent à l’Islam et dirent : “Quel frère honorable tu es ! Quel valeureux frère tu es ! ”
En fait, la bonté conquiert facilement le cœur de l’homme. L’homme aime celui qui est clément et bienfaisant. Il lui ouvre facilement son cœur. Il admire le bon caractère et la bonne personnalité. Le cœur du musulman doit donc refléter le meilleur des caractères.
En ce qui concerne le sujet des Syriens…
C’est de nos jours le plus important sujet. La situation des Syriens vous afflige énormément. Vous vous attristez pour leur sort, car vous avez dans votre cœur une place pour eux. Maintenant c’est la fête, la fête et l’immolation des bêtes. Actuellement, ce qui fait mal à nos cœurs c’est l’inquiétude quant à la fin du monde…
La miséricorde, c’est donner de ce que l’on a à ceux qui n’en ont pas. Cela revient à essayer de compenser leurs manques dans la mesure de nos capacités. C’est ça la miséricorde. C’est constater un vide chez son prochain et l’aider à le compenser en lui donnant de ce que l’on a. Le croyant doit combler les imperfections et déficits de son prochain. Dieu t’en a fait grâce et pas à lui, tu dois donc le soutenir. Allah Tout-Puissant nous dit :
“ Quant à l’homme, lorsque son Seigneur l’éprouve en l’honorant et en le comblant de bienfaits, il dit : “Mon Seigneur m’a honoré. ”[23]
Le serviteur indigne plein d’orgueil se dit : “Mon Seigneur m’a gratifié plus qu’untel.”
Et non ! En fait Dieu éprouve Son serviteur à travers Ses bienfaits à son égard.
C’est pour cela que notre Noble Prophète r était très sensible concernant ce sujet, celui de la miséricorde, de la compassion et de l’empathie. Il ne manquait non plus d’exhorter sans cesse sa communauté à la miséricorde, la bonté et la bienfaisance.
À titre d’exemple, rappelons ce hadith : “Je suis proche de vous tous plus que votre essence… ”[24]
En effet, tout comme un parent est soucieux de son enfant plus que lui-même, le Prophète r, lui aussi, nous enseigne qu’il est soucieux de nous plus que notre propre personne.
L’Envoyé de Dieu r nous dit encore : “…Lorsqu’une personne décède, son héritage appartient à sa famille, ses enfants. Par contre, en ce qui concerne un orphelin, je suis garant de sa protection. De même, pour ce qui est de l’endetté, je me charge de ses dettes. ”[25]
Enfin le Prophète r a affirmé :
“ ÇóáúãóÑúÁõ ãóÚó ãóäú ÇóÍóÈøó
Le serviteur sera avec celui qu’il aime. ”[26]
Tel était le motif de tout le combat des compagnons. En effet, ils se soumettaient constamment à cet interrogatoire “À quel point ma personnalité est similaire à celle du Prophète. Si j’ai pu m’assimiler à lui, quel sera mon degré de proximité avec lui au Jour Dernier ?” Aujourd’hui, nous sommes nous aussi appelés à nous poser ces mêmes questions. Dieu L’Exalté nous a fait don d’un capital spirituel. Bienheureux serons-nous, si nous saisissons ce capital comme un joyau et le valorisons autant que possible au point de faire profiter nos semblables, de les assister et leur rendre service au nom de Dieu ! Mais si nous dévalorisons ce capital et le dilapidons en toute insouciance au point de faire preuve d’indifférence envers les souffrances de nos frères en religion notamment les Syriens, quel grand dommage ! Voilà la réalité ! Depuis votre place ici en Turquie, à quel paysage assistez-vous concernant la situation des Syriens ? Je veux dire, et si nous partageons avec notre public les photos qui nous sont parvenues en rapport avec la situation qui y prévaut. La situation des femmes, des enfants, des vieillards, des malades, des femmes enceintes, des nouveau-nés… Quel en est l’impact sur votre cœur, votre for intérieur ?
Aujourd’hui, la Turquie est devenue une grande porte à franchir pour fuir cette souffrance infernale ; c’est-à-dire une terre islamique, de compassion, de miséricorde. Ils se sont donc réfugiés en terre turque. Ils se sont certes évadés vers d’autres terres, mais la Turquie en abrite le plus grand nombre. C’est la Turquie qui leur a grandement ouvert la porte, la porte du cœur. Il y a environ un million et demi de Syriens en Turquie. Et parmi ces derniers, il y a des malades, des orphelins, des démunis etc… On a vu une photo d’un enfant de dix ans porter dans les bras son frère de deux ans et parcourir vingt kilomètres à pied. Quel pourrait est notre devoir envers ces gens ? Nous pourrions être à leur place et eux à la nôtre. Qu’aurions-nous donc espéré dans de telles circonstances ? Notre mère ou un de nos proches aurait pu se retrouver en Syrie et en être victime. À quel point notre cœur aurait été donc affligé et meurtri face à leur situation ? À ce sujet, la Turquie a fait un travail excellent. Mais maintenant, toutes les ONG et municipalités doivent s’imprégner de cette réalité et s’acquitter de leurs responsabilités vis-à-vis des Syriens. C’est ainsi que l’on pourra jouir de l’agrément divin.
D’ailleurs, selon un hadith kudsî, Dieu dira lors du Jour Dernier :
“ Mon serviteur ! J’étais malade mais Tu ne m’as pas rendu visite. J’étais dans le besoin, mais tu ne m’as pas assisté. ” Quant au serviteur, il répliquera ainsi : “Ô Seigneur ! Tu es Le Créateur de l’univers, comment peux-Tu être malade, démuni, ou besogneux ? ” Dieu dira alors : “Si tu avais rendu visite à Mon tel serviteur malade, assisté Mon tel serviteur démuni, tu M’aurais trouvé à ses côtés. ”[27]
Autre fait : Le Prophète Moussa u demanda à Dieu :
“ Seigneur ! Où dois-je Te chercher ? Où dois-je Te rencontrer ? ”
Allah Tout-Puissant répondit : “ Ô Moussa ! Cherche-Moi auprès des cœurs brisés ! ”
Le Messager de Dieu r avait l’habitude de demander constamment :
“Avez-vous aujourd’hui rendu visite à un malade, assisté à des funérailles, nourri un affamé, caressé la tête à un orphelin ? ”[28]
La situation des Syriens nous rappelle sans cesse ceci: Dans le verset cent de la sourate Tawbah, Allah nous parle des Mecquois. Il nous informe de la cruauté et des souffrances atroces qu’ils endurèrent pour préserver leur foi en un Dieu unique. Il nous cite aussi les Médinois, c’est-à-dire ceux qui accordèrent l’asile à ces Mecquois et les traitèrent avec bonté et hospitalité… Dieu attend de nous que nous soyons à l’image des compagnons mecquois et médinois. En regardant le tableau tracé par la fraternité des Ansars et Mouhadjirines, nous voyons que les Médinois s’adressaient ainsi à leurs frères mecquois :
“ Viens mon frère ! Ma porte t’est ouverte. Nous pouvons y vivre à deux. Voici mon champ, mon jardin de dattes, partageons les !”
Les Mecquois, quant à eux, répliquèrent : “ Cher frère ! Que Dieu bénisse pour toi ta maison et ton champ ; montre-nous plutôt le chemin du bazar ! ”
En fait, ils demandèrent à leurs frères de leur confier une tâche, de leur trouver du travail. Ils n’acceptèrent pas les biens qui leur furent proposés ; ils préféraient travailler et assurer leur subsistance avec leur propre labeur. Leurs frères médinois leur trouvèrent aussi un travail. Par exemple, ils travaillaient tous ensemble dans les champs et faisaient la récolte. En plus, les Médinois veillaient toujours à donner une grande part de la récolte aux Mecquois en disant : “Ceux-ci ont émigré ici pour la cause de Dieu. Ils ont fui les persécutions des idôlatres. Ils ont fui la violence et la maltraitance pour trouver refuge ici… ”
Nous sommes donc tenus de prendre exemple sur eux, car cela montre notre degré d’amour et d’allégeance au Prophète r.
Dieu nous rappelle dans Son Livre :
لَنْ تَنَالُوا الْبِرَّ حَتّٰى تُنْفِقُوا مِمَّا تُحِبُّونَ
« Vous n’atteindriez la (vraie) piété que si vous faites largesses de ce que vous chérissez. »[29]
Si nous ne donnons pas pour Dieu de ce qui nous est cher, nous ne pourrons aucunement nous rapprocher de Lui. À quel point dépensons-nous pour ce bas-monde et pour la cause de Dieu ?
Ghazali g nous fait ce rappel avec cette métaphore : “Ne délaissez pas la générosité ! Car, si elle tombe, Dieu la saisira par la main et la soulèvera. “[30]
De nos jours nous sommes face à une épreuve de générosité. Nous devons sans cesse nous soumettre à cet examen de conscience :
“ Où en suis-je par rapport aux Ansars que Dieu me présente comme base de comparaison. À quel point j’aime mon Seigneur et mon Prophète ? À quel point je m’efforce de ressembler aux compagnons du Prophète ?…” L’Islam attend de nous l’altruisme, pas l’égoïsme.
Un autre exemple eut lieu lors de la très difficile guerre des Tranchées à l’occasion de laquelle Dieu soumit les musulmans à une très dure épreuve. Il faisait très froid, la faim oppressait les musulmans alors qu’ils devaient creuser un fossé profond de trois mètres, large de trois mètres et long d’environ quatre kilomètres. À un moment donné, les compagnons n’arrivèrent plus à casser une pierre. Alors le Prophète r descendit et Djâbir t le vit casser la pierre. Il remarqua alors que le Prophète se tordait le ventre sous l’effet de la faim en essayant de casser la pierre. Il se rendit aussitôt chez lui et dit à sa femme :
“ J’ai vu l’Envoyé de Dieu se tordre le ventre de faim. Qu’avons-nous à manger ?”
Sa femme lui répondit : “ Il y a un peu d’orge, du chèvre, et un chevreau. ”
Djâbir dit : “Je vais immoler le chevreau, essaie de broyer l’orge et mets de l’eau dans la marmite pour cuire la viande. Je vais inviter le Messager de Dieu et des compagnons.”
Alors je me rendis immédiatement auprès de l’Envoyé de Dieu r et lui dit avec joie :
« La faim se fait ressentir violemment et toi aussi, tu es affamé. Viens chez moi avec un groupe de personnes ? »
Le Prophète r demanda : « Djâbir, qu’as-tu chez toi ? »
Je répondis : « Ô Envoyé de Dieu ! Il y a un chevreau et un peu d’orge avec lequel ma femme a fait du pain. »
Le Prophète r dit : « Ô Djâbir, il y a vraiment assez de nourriture. Venez, allons-y ! »
Et il prit à ses côtés tous les compagnons. Djâbir eut peur et accourut vers sa femme :
« L’Envoyé de Dieu arrive avec tous ses compagnons. »
Elle dit : « Djâbir ! N’as-tu pas dit au Messager de Dieu ce que nous avons comme nourriture ? »
« Si je lui ai dit. » Répondit Djâbir.
« Ne t’en fais pas ! L’Envoyé de Dieu sait mieux que toi,» ajouta sa femme.
Le Prophète r vint avec ses compagnons et dit : “Venez sans vous bousculer ! ”
Il donna à chacun un morceau de pain qu’il faisait plonger dans la soupe de chèvre en y ajoutant un morceau de viande. Il partagea le plat et en donna à chacun une part avec sa propre main.
Djâbir raconte : “ J’admirais l’Envoyé de Dieu avec grand étonnement car, au fur et à mesure qu’il partageait la nourriture, il en restait toujours.”
En fin de compte, le Prophète r dit :
“Djâbir ! Apporte ceci à ta famille ! La faim se fait ressentir partout. Que ta famille se serve et en donne le reste aux voisins ! ”[31]
Pourrait-il y avoir une meilleure leçon que cette miséricorde montrée par le Prophète r et cette scène de fraternité vécue ? Nous pourrions continuer les exemples en évoquant le cas de serviteurs pieux tel par exemple cet évènement narré par Sari al Saqatî[32] ç.
Il récitait ce hadith sharif :
“Celui qui ne se soucie pas des ennuis de son frère (en religion) n’est pas des nôtres.” [33]
À ce moment, un de ses disciples fit son entrée et dit :
“ Cher maitre ! La cité a brûlé. Toutes les maisons ont été détruites sauf la vôtre.”
“ Gloire à Dieu ! ” réagit Sari al Saqatî. Trente ans plus tard, il dit à un ami :
“ Depuis ce jour, c’est-à-dire pendant trente ans, j’implore le pardon de Dieu pour cette insouciance instantanée, car je m’étais réjoui pour ma maison épargnée des flammes, sans penser à ceux qui perdirent la leur.”
Revenons sur le sujet du sacrifice en citant cet exemple de Dâwud-i Tâî, ce serviteur pieux pour qui un disciple qui l’aimait beaucoup cuisina de la viande et dit en la lui apportant :
“ Maître ! Vous n’avez pas mangé de viande depuis plusieurs jours alors je vous ai fait ce plat de viande. Mangez-en s’il vous plait !”
Dâwud-i Tâî, ne voulant pas offenser son disciple réfléchit sur ce qu’il pouvait lui dire sans briser son cœur. Il finit par lui dire :
“ Cher enfant ! Quelle est la situation des deux orphelins ?”
“ Cher maître ! Répondit le disciple rien de nouveau, ils sont dans la même situation.”
“ Écoute cher enfant ! Si tu apportes cette viande aux orphelins, ton acte montera jusqu’au Trône de Dieu, alors que si tu me la fais manger, j’irais peu de temps après la vider aux toilettes” expliqua le maître.
“ C’est bon maître j’ai compris ” répliqua le disciple.
Bref, nous pouvons citer de nombreux exemples identiques…
Cher maître, parmi les propos que vous avez tenus, vous avez dit que vous pensez au Jour Dernier, aux épreuves auxquelles nous y serons confrontés. Pouvez-vous nous détailler un peu ce sujet, c’est-à-dire quel examen de conscience chacun de nous est appelé à faire ?
Laissez-moi vous avouer ce qui me fait le plus réfléchir sur l’au-delà : Allah nous dit :
ثُمَّ لَتُسْئَلُنَّ يَوْمَئِذٍ عَنِ النَّعِيمِ…
…Puis, assurément, vous serez interrogés, ce jour-là, sur les délices. ”[34]
Qui est concerné ? Nous tous sommes concernés, même les Prophètes. Il y a une telle anecdote :
“Lors de l’exégèse du Saint Coran, Hamdi Efendi raconta :
“Abou Bakr t sortit de sa maison à une heure indue. Le compagnon Omar t lui aussi sortit à cette même heure. Lorsque le Noble Prophète r sortit, il les vit et leur demanda :
« Pourquoi êtes-vous dehors à cette heure inconvenable ? »
Les deux compagnons y répondirent :
« Ô Envoyé de Dieu ! La faim nous a poussés à sortir pour chercher de quoi manger. »
Le Prophète r leur dit : « –Il en est de même pour moi. ».
Le Messager de Dieu r les envoya chez un compagnon fortuné.
Lorsque sa femme les accueillit, elle fut très contente de voir le Prophète r.
« Où est ton mari ? » demanda le Prophète.
« Il est allé chercher de l’eau douce » répondit-elle.
Le mari vint alors et fut lui aussi réjoui par la venue du Prophèter, car bien sûr, c’était pour eux un grand honneur. L’homme, aussitôt, s’empressa d’immoler un mouton.
« Surtout, n’immole pas une bête enceinte ! » lui suggéra le Prophète r.
L’homme abattit donc une bête, fit préparer la viande, et servit le plat qu’il déposa devant l’Envoyé de Dieu r en y ajoutant des dattes. Après avoir pris le repas, le Prophète r dit :
« Savez-vous que nous serons interrogés sur ce que nous venons de consommer. » ”[35]
Plus tard, un jeune se présenta et dit :
« Ô Envoyé de Dieu ! Dieu a révélé lors de ce verset :
ثُمَّ لَتُسْئَلُنَّ يَوْمَئِذٍ عَنِ النَّعِيمِ
« …Puis, assurément, vous serez interrogés, ce jour-là, sur les délices. »[36]
Mais je n’ai ni bien immobilier ni rien d’autre. Je ne dois pas être concerné par ce verset. Au Jour Dernier, je ne serai pas interrogé à ce sujet. »
Le Prophète r lui demanda alors :
« Jeune homme ! As-tu un arbre sous lequel tu t’ombrages ? Écoute ! Dieu a créé cet arbre pour toi. S’Il n’avait pas créé d’arbre, où te serais-tu ombragé ? Tu as donc un arbre pour t’ombrager ! As-tu de l’eau douce à boire ? Dieu pouvait à partir des nuages nous procurer de l’eau salée, au lieu d’eau douce ! As-tu de quoi te chausser ? Donc tu seras toi aussi interrogé sur ces grâces. »[37]
Bref, efforçons-nous sans cesse de nous repentir et de chercher refuge auprès de Dieu. Rappelons aussi cet incident :
Bien sûr, il y a plus d’un million et demi de Syriens en Turquie. Et dans certaines villes, le nombre des Syriens est égal voire même supérieur à celui des autochtones. Nos frères syriens sont répartis dans presque toutes les villes turques. Une population si dense provoque parfois des situations problématiques au sujet des locations de maisons ou à propos de tel ou tel sujet…
Que devons-nous faire en pareilles circonstances ?
Les médias suivent de près cette situation, les critiques pleuvent de partout.
Alors comment pouvons-nous appliquer ici la loi de la fraternité ?
Partout où il y a une masse populaire, il y a des problèmes. Car, au sein d’un groupe d’hommes, il y a des gens pieux et des gens de mauvaise foi, des serviteurs conscients et inconscients. Il y a aussi des gens égoïstes qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts. Sachons donc que chaque ennui que nous subissons de la part des Syriens abrités chez nous est source de mérite pour nous. Ils sont nos frères en religion. Est-ce que nous renions notre enfant ou un proche lorsqu’il nous fait du tort ? Pouvons-nous le renier ? Les Syriens aussi sont nos frères.
Par conséquent, nous pouvons être confrontés à des problèmes à l’occasion de l’arrivée des Syriens dans notre pays ; d’ailleurs, partout où il y a rassemblement d’hommes, il se produit naturellement des situations désagréables. Même entre nous-mêmes, nous rencontrons des problèmes. Il y a des problèmes dans nos cités. Il y a des problèmes entre les voisins. Est-ce que nous pouvons démentir cela ?
Cher maître, disons que nous sommes résidents d’un quartier et que c’est la fête. Nous savons que des Syriens résident aussi dans notre quartier. Concrètement, que doit-on faire ?
Durant notre enfance, le quartier était synonyme d’assurance pour les veuves et les orphelins. Par exemple, si un orphelin devait se marier, c’est le quartier qui se chargeait de sa dot. Si une veuve avait un problème, c’est le quartier qui assurait sa protection et dissipait ses soucis. S’il y avait un malade, même celui qui ne possédait rien dans le quartier ne manquait de lui apporter de la soupe. Par exemple, à notre époque, il n’y avait pas d’antibiotiques. La tuberculose était très épidémique. Il y avait la tuberculose dans les régions bondées de pins, il y avait aussi des centres antituberculeux. Et les gens du quartier apportaient aux malades du foie, de la viande, des grillades pour que les malades pussent bien s’alimenter. Le quartier était là pour veiller à leur bonne alimentation. Le quartier était l’assurance de la communauté. Malheureusement, de nos jours, le nombre des quartiers a considérablement chuté. En fait, les habitants des quartiers résidentiels n’entendent pas ceux des bas-quartiers. Ils ne les regardent pas avec l’œil de la miséricorde. Il arrive même des fois qu’ils se laissent aller à des situations très déplorables. À l’occasion de cette fête, que chacun dans son quartier cherche à repérer les orphelins, les veuves, les démunis, les besogneux pour leur procurer de la joie et leur faire passer une fête agréable. On doit leur procurer le sourire, la joie de la fête. Cela doit être un devoir important pour chacun de nous. Lors du pèlerinage d’adieu, ce verset fut révélé :
اَلْيَوْمَ اَكْمَلْتُ
Aujourd’hui, J’ai parachevé pour vous votre religion. ”[38]
La religion parachevée, le Prophète avait accompli sa mission terrestre. Après cette révélation Abou Bakr t dit en pleurant :
“Ce verset annonce la proche mort de l’Envoyé de Dieu r. ”
Mais, après cette révélation, le Prophète r ne dit jusqu’à son dernier souffle que : “ma communauté, ma communauté”.
Anas t nous rapporte ceci :
“Durant les derniers instants de sa vie, bien que la voix du Prophète r s’était considérablement estompée au point de ne plus être audible, il ne cessait de répéter deux choses. Premièrement, notre devoir de servitude vis-à-vis de Dieu: « la prière, la prière ». Puis il insistait sur notre devoir social : « Ne violez pas les droits de ceux qui sont sous vos ordres ! » ”[39]
Ceci dit, nos frères Syriens ont des droits sur nous. Nous avons des responsabilités vis-à-vis d’eux. Le Prophète r nous enseigne qu’au Jour Dernier, sept groupes de gens seront ombragés par le Trône de Dieu ; et parmi eux, il y a ceux qui se sont aimés pour la cause divine c’est-à-dire les frères en religion.[40]
Aujourd’hui, nous turcs, nous sommes soumis à une épreuve de fraternité. Évidemment, la fraternité prévaut en temps d’aisance; mais en fait, la véritable fraternité est celle qui prévaut en temps d’adversité, celle pour la cause divine. Comme rétribution ceux qui nouent une telle fraternité, seront au Jour Dernier parmi les sept groupes ombragés par le Trône d’Allah. À quel point prenons-nous les valeureux compagnons y en exemple ? Le moins que nous puissions faire c’est d’assister nos frères syriens, de leur faire passer une fête agréable, de prendre de beaux vêtements pour leurs orphelins et leurs veuves…
Le Prophète r donna à un pauvre qui vint à lui ce qu’il avait. Peu de temps après, un autre vint à lui et le Prophète r fut gêné au point de détourner son regard de ce dernier car il n’avait plus rien. Alors Dieu révéla ce verset :
« ÞóæúáðÇ ãóíúÓõæÑðÇ … Adresse-leur une parole bienveillante.” [41]
Dieu nous recommande de tenir des propos agréables pour réconforter le cœur de celui qui sollicite notre aide, si nous n’avons rien à lui donner. Le Musulman ne doit donc pas refuser l’aide qu’on lui demande et donner même une bonne parole pour mériter l’agrément divin.
S’il plait à Dieu, nous célébrerons la prochaine Fête du Sacrifice avec nos frères en religion venus de Syrie, d’Afrique et d’Asie orientale.
[1]. Sourate an-Nisâ, verset 80.
[2]. Sourate Al-’Alaq, verset 19.
[3]. Sourate al-Mouminoun, versets 1 et 2.
[4]. Sourate al-Anbiya, verset 69.
[5]. Sourate ar-Ra’d, verset 28.
[6]. Sourate al-Hadid, verset 4.
[7]. Sourate al-Kâf, verset 16.
[8]. Sourate al-Bakara, verset 282.
[9]. Sourate Al-A’raf, verset 12 ; voir aussi sourate Sâd, verset 76.
[10]. Sourate az-Zariyat, verset 50.
[11]. Sourate Ach-Chouara, verset 89.
[12]. «Allahou Akbar» (Dieu est le plus grand) formule répétée plusieurs fois dans les cinq prières quotidiennes.
[13]. Voir Haythamî, III, 241; Ahmed, I, 28.
[14]. Sourate at-Tawba, versets 111 et 112.
[15]. Sourate al-Hadj, verset 37.
[16]. Hâkim, IV, 257.
[17]. Muslim, Salâm, 139-141, 147; Abû Dawûd, Adab 162-163/5263; At Tirmidhî, Sayd, 14/1482, Ahmed, I, 420.
[18]. Muslim, Zakat, 69.
[19]. Ali al-Muttakî, Kenzü’l-Ummâl, XIV, 414.
[20]. Sourate at-Tawbah, verset 128.
[21]. Haythamî, IX, 24.
[22]. Ahmed, IV, 335; Hâkim, IV, 468/8300.
[23]. Sourate al-Fajr, verset 15.
[24]. Muslim, Jemoua, 43; Ibn Maja, Muqaddima, 7.
[25]. Muslim, Djuma, 43; Ibn Maja, Muqaddima, 7.
[26]. Al Boukhari, Adab, 96.
[27]. Muslim, Birr, 43.
[28]. Muslim, Fadâilu’l-Sahâba, 12.
[29]. Sourate Al-i Imrân, verset 92.
[30]. Haythamî, VI, 282.
[31]. Al Boukhari, Meğâzî, 29; Muslim, Eşribe, 141.
[32]. Abū al-Ḥasan Sari b. al-Mughallis al-Saqatî connu sous le nom de Sirri Saqti (arabe: ÓÑی ÓÞØی) fut l’un des premiers saints musulmans soufis de Bagdad. Il fut aussi l’oncle de Djouneyd al Baghdadi ç.
[33]. Hâkim, IV, 352; Haythamî, I, 87.
[34]. Sourate at-Takatur, verset 8.
[35]. Muslim, Achriba, 140.
[36]. Sourate at-Takatur, verset 8.
[37]. Suyûtî, VIII, 619.
[38]. Sourate Al-Mâida, verset 3.
[39]. Beyhakî, Shuab, VII, 477.
[40]. Al Boukhari, Adhân, 36.
[41]. Sourate al-Isrâ, verset 28.