La Connaissance et l’Amour viennent de Provisions Licites

Juin 11, 2021 par

Prof. Dr. Süleyman Derin

Un des sujets auxquels le voyageur spirituel doit prêter fortement attention est que ses gains ainsi que ses aliments soient licites. Car si les aliments sont illicites, alors les affaires du croyant ne peuvent être correctes.

Certes Allah Le Tout Puissant à travers le verset coranique suivant ordonne à ses Prophètes de consommer licitement en premier lieu puis d’effectuer des actes vertueux :

« Ô Messagers ! Mangez de ce qui est sain (licite) et accomplissez de bonnes œuvres, car Je suis Informé de vos actes ! » [Al-Mu’minûn, 51]

Allah Le Tout Puissant dans la plupart des versets coraniques où Il ordonne aux Musulmans de consommer des aliments licites, ajoute à la formulation le terme « طيب », se prononçant Tayyib, qui signifie bon, propre.

Selon les exégètes il y a quelques différences entre le “Hâlâl”[1] et le “Tayyib”.

À propos de cet autre verset : « Ô vous les Hommes ! Mangez de ce qui est licite et bon sur Terre et ne marchez pas sur les traces de Satan, il est pour vous un ennemi déclaré » [Al-Baqarah (La Vache), 168] 

Ismail Hakkı al Bursawi fait cette exégèse :

« Le licite, autrement dit le « Hâlâl », est un produit dont Allah Le Tout Puissant autorise la consommation. Quant à ce qui est Tayyib, cela concerne un produit dont la consommation ne contient aucun doute de la présence du droit d’autrui et est seulement utilisée pour les besoins et non pour satisfaire les désirs charnels. En l’occurrence, tout ce qui est “Tayyib” est licite (Hâlâl), mais tout ce qui est licite n’est pas Tayyib. »

En fait, les Soufis perçoivent au-delà des bouchées licites les “Tayyib” car consommer licitement est le premier fondement de la religiosité, tandis que consommer les choses “Tayyib” relève de la piété.

A ce propos, la vie de Mahmut Sami Ramazanoğlu, un des anneaux de la chaîne d’or, est pleine de sagesse et d’exemple pour nous. Comme il fut l’héritier de la noble famille des Ramazanoğulları, Mahmut Sami Ramazanoğlu hérita d’un grand patrimoine dans la ville d’Adana mais il le refusa car il était fort probable que cet héritage issu des biens des Sultans et des nobles recelât des droits d’autrui. Cette attitude est le fruit de sa sensibilité envers le licite et l’illicite. Au-delà de cette sensibilité il accordait une attention très particulière à ce que ses aliments soient “Tayyib” mais il prenait aussi garde à ne pas commercer dans les étals et vitrines qui attiraient l’attention des gens. C’est pour cela qu’il se rendait dans les marchés dès leur ouverture pour subvenir aux besoins fondamentaux de sa famille tout en se procurant des fruits et des légumes purifiés de tout regard malsain. Ainsi, en plus de la licéité, il ajoutait le critère bon et propre.  

Mawlânâ (r.a), quant à lui, compare les aliments suspects à l’eau qui se mélange dans l’huile des lampes. Tandis que l’huile, qui représente les aliments licites, diffuse une lumière pour les gens, l’eau qui vient s’y mêler éteint le feu : 

« L’aliment qui produit un accroissement de lumière et de perfection a été acquis par des gains licites. L’huile qui vient éteindre notre lampe, quand elle éteint une lampe, appelle-la de l’eau. De l’aliment licite proviennent la connaissance et la sagesse ; de l’aliment licite viennent l’amour et la tendresse. Lorsque d’un aliment tu vois naître l’envie et la fourberie, l’ignorance et la négligence sache qu’il est illicite.»[2]

Selon Mawlânâ (r.a), les bouchées sont des graines semées dans le monde du cœur. Celui qui plante des graines médiocres ne pourra récolter un produit de qualité :

« Si tu sèmes le blé cela produira-t-il de l’orge ? As-tu vu une jument accoucher d’un ânon ? L’aliment est la graine et les pensées sont ses fruits ; l’aliment est la mer, et les pensées sont ses perles. De l’aliment licite dans la bouche vient le désir de servir Dieu et la résolution d’aller dans l’au-delà.»[3]

De nos jours, le choix de la profession est devenu crucial en ce qui concerne les gains licites. Car en effet, de nombreux actes qui étaient interdits dans la société musulmane auparavant, sont désormais devenus populaires aujourd’hui.

Par conséquent, il faut rester à l’écart des différentes branches d’activités commerciales qui sont incompatibles avec les valeurs morales islamiques, telles que les banques qui transigent avec les intérêts, les établissements qui commercent ou exercent une activité alcoolique ou de produits spiritueux tels que le tabac et ses dérivés.

Deuxièmement notre responsabilité ne se limite pas au choix d’une branche professionnelle, il nous appartient d’accomplir avec minutie notre devoir pour que nous l’exercions avec le strict respect des règles et de la morale islamique. Pour donner quelques exemples, non exhaustifs, le commerçant ne doit pas tromper ni léser ses clients, les fonctionnaires, les employés et ouvriers doivent être attentifs à respecter leurs heures de travail. Il n’est pas possible d’aborder en détail le sujet dans ce court article mais chaque Musulman se doit d’apprendre les dispositions de l’Islam qui se rapportent à son domaine d’activité.

La préoccupation des Soufis concernant les gains licites, susmentionnés, ne s’est pas seulement limitée à la théorie ni à la parole, mais elle a plutôt été systématisée par nos ancêtres sous différentes structures, telles « Ahilik » [4] et « Fûtûwwâ »[5] et ainsi présentée comme un modèle au monde entier.

Ahî Evran (1172-1262), considéré comme le fondateur des structures dites « Ahilik », rassembla les commerçants et les artisans sous des Khanaqah[6] puis leur enseigna l’éthique de l’art et du commerce ainsi que les droits des producteurs et des consommateurs selon les règles morales du mysticisme islamique.  

Les commerçants et marchands Soufis ont rassemblés les règles comprenant à la fois l’éthique du mysticisme islamique mais aussi les gains licites et tayyib.

C’est d’ailleurs pour cette raison que les chasseurs ainsi que les courtois furent exclus des structures susmentionnées, bien que leurs occupations ne soient pas considérées illicites dans la religion.

Yahya Burgazi, considéré comme le premier auteur du « Fütüvvetnâme »[7], écrit en Turc pendant le 13ème siècle, décida d’exclure du Khanaqah, ceux qui avaient un comportement maladroit ainsi que ceux qui n’avaient pas une conduite humanitaire et vertueuse conforme.

Il en fut de même pour les commerçants trichant dans leurs activités commerciales :

« Voici donc ceux qui seront exclus des structures Fûtûwwâ : Celui qui consomme de l’alcool, celui qui commet l’adultère, celui qui sème la médisance, celui qui fait preuve d’hypocrisie, celui qui entache son cœur, celui qui envie, celui qui rancune, celui qui ne tient pas ses promesses, celui qui ment, celui qui trahie, celui qui observe la société avec mauvaise intention, celui qui sème la disgrâce, celui qui fait preuve d’avarice, celui qui calomnie, celui qui usurpe, celui qui consomme l’illicite et celui qui fait preuve d’orgueil. »

 L’autre règle importante de la structure « Ahilik », est de dépenser les biens acquis dans le sentier d’Allah, et en l’occurrence, faire preuve de générosité :

« Voici donc les caractéristiques que doivent posséder les membres de la structure « Ahilik » : être généreux, ne pas s’attacher à ce bas-monde, gagner sa vie par ses propres efforts, faire preuve de modestie, éviter tout comportement avare, ne pas délaisser ses prières quotidiennes, faire preuve de pudeur, mener une vie licite, acquérir des gains licites et détenir un art et une occupation. Il ne doit pas non plus avoir de biens valant plus de dix-huit pièces de « Dirhem »[8]. L’excédent à cela devra être dépensé en faveur des plus démunis. Chaque chose possède une quantité de sel, et le sel de la bravoure et de la moralité est de gagner du pain et de nourrir les pauvres. » [Haliloğlu Yahya Burgazî, Fütüvetnamesi de Burgazi, prép. Abdülbaki Gölpınlarlı]

Comme mentionné dans le Hadith, l’état « d’Ahilik » est semblable à l’abeille. Elle consomme et produit des choses propres dont toute l’humanité en bénéficie.

Mawlânâ (r.a) décrit cette situation en ces termes : «

Les vrais croyants sont une ruche de miel, comme l’abeille, les infidèles, en vérité, sont une réserve de poison comme le serpent.

Parce que le vrai croyant s’est nourri d’herbes choisies de sorte que, comme l’abeille, sa salive est devenue un moyen de donner la vie.

Tandis que l’impie a bu de l’eau sale, en conséquence, du poison est apparu en lui en raison de sa nourriture. [Mathnawî, 3 : 3293-94] 

De nos jours il est devenu essentiel, dans le commerce et l’artisanat, de gagner et de produire beaucoup. En agissant de la sorte on ne fait pas assez attention aux règles morales qui ne sont pas suffisamment prises en compte. Par exemple il est possible que des substances prohibées par l’Islam soient mélangées à des produits licites tout simplement parce que ces derniers sont bon marché. S’il en va ainsi nos implorations n’ont guère de chance d’être exaucées et le monde islamique vivra dans une grande misère.

D’après Bursawi, les invocations de ceux qui prennent l’intermédiaire du Prophète en consommant des produits illicites, ne seront pas exaucées.

Car le Prophète Muhammad (pbsl) exprime selon le récit suivant, que les invocations de ceux consommant sans faire la différence entre le licite et l’illicite ne seront pas exaucées : « Il viendra un temps où l’être humain ne se souciera pas de la licéité de ses ressources. Aucune de ses invocations ne sera alors exaucée. » [Boukhari, Buyu, 7, 2059; An-Nasaï, Buyu’, 4454]

Quand une telle situation se produit et qu’alors le gain illicite est désormais devenu commun, c’est un devoir pour le croyant sincère de migrer de la région dans laquelle cela se produit s’il y réside.

A ce propos Bursawi a dit : « Toute migration effectuée dans un but religieux tel que la recherche de ressources licites et pures sera équivalente à celles effectuées pour Allah Le Tout Puissant et pour Son Prophète r. S’il venait à rendre son âme en cours de chemin, alors sa récompense ne reviendrait qu’à Allah Le Tout Puissant. » [Rûhu’l-Beyân, 4, 241]

En conclusion, les Soufis ont donc fourni des exemples tant sur le plan individuel qu’institutionnel, en ce qui concerne le gain licite et la consommation saine.

Nous devons alors revivifier la philosophie du gain licite et propre, comme tel était le cas auparavant dans les structures « Ahilik » et « Fûtûwwâ », compte tenu des conditions actuelles.

Ce vers de Mawlânâ (r.a) doit être pour nous un guide dans les moments difficiles :

« Si le monde entier était rempli de sang jusqu’au bord comment le serviteur boirait-il autre chose que ce qui est sanctifié ?» [Mathnawî, 2, 3423].

Nos commerçants et artisans investis dans le mysticisme islamique doivent davantage réfléchir sur ce sujet et faire preuve de guide pour le peuple afin que cette problématique du gain licite puisse être diffusée dans toute la société. Si nous avons déjà réussi un tel travail auparavant, pourquoi ne pas le réaliser aujourd’hui ? Cette compréhension de gain qui met en évidence le service à l’humanité et dans le monde Musulman plutôt que les intérêts personnels, peut être appliquée plus facilement par les vrais Soufis. Car ils ont davantage vaincu leurs égos et sont des Musulmans qui œuvrent uniquement pour Allah Le Tout Puissant.

Ô Allah !

Élargis-nous les portes ouvrant sur les subsistances licites et propres et éloigne-nous de toutes choses illicites et sordides.

Amin.


[1].     Toute chose acquise à travers des moyens que la loi islamique autorise est considérée Hâlâl.

[2].     Mathnawi – La Quête de l’Absolu Livre 1 : 1643 – 1645 Traduction Eva de Vitray Meyerowitch. Editions Culturelles de la Municipalité de Konya. Page 157.

[3].     Mathnawi – La Quête de l’Absolu Livre 1 : 1646 – 1648 Traduction Eva de Vitray Meyerowitch.

[4].     Structure sociale établie il y a des siècles en Anatolie qui avait pour but de former différentes personnes dans plusieurs branches sociales et commerciales.

[5].     Fûtûwwâ, qui signifie selon le sens étymologique de sa racine “fêta” « jeunesse, héroïsme, générosité » est assimilable à ce qui est appelé la « chevalerie ». Fûtûwwâ en tant que concept social a commencé à apparaître au premier siècle de l’Islam en relation avec la conquête de Jahiliya. La Fûtûwwâ s’est transformée en structuration sociale au 9e siècle et est devenue une institution officielle de l’état durant la dernière période abbasside et parallèlement se mêla au soufisme qui se débarrassa alors de son style de vie individuel. On peut dire que la quatrième étape historique du développement eut lieu sous la forme de «Ahilik Fûtûwwâ» qui est une organisation professionnelle qui intégra les commerçants tout en conservant son identité soufie.

       Suleyman Uludağ donne cette définition : La Fûtûwwâ, se réfère principalement dans le soufisme à des qualités morales s’adressant à l’âme, telles que le sacrifice, l’altruisme, l’altruisme, la bonté, l’aide, l’affection humaine, la tolérance et le fait de parler à l’âme. (İslam Ansyclopedisi, Türkiye Diyanet Vakfı).

[6].     Lieu de culte où les croyants soufis se rassemblent, généralement sous la guidance d’un savant religieux pour pratiquer leur culte dans un lieu appelé Zaouïa dans les pays du Maghreb et Tekke en Turquie.

[7].     Nom commun des œuvres donnant des informations sur les mœurs et règles de conduite des structures dites « Fûtûwwâ ».

[8].     Pièce en argent équivalent à 3.2 grammes.

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