Lors de la Omra, Je suis resté à l’Hôtel Hilton
Qu’Allah Tout-Puissant nous exauce tous ! En avril dernier, je suis parti accomplir une Omra avec l’intention de passer le mois sacré de Rajab[1] en Terre Sainte. J’étais en compagnie de Vahid Bey et d’un groupe d’étudiants et nous étions logé à l’hôtel Hilton.
Notre hôtel était confortable… Il y avait de l’affluence…
Nous nous déplacions sans cesse.
C’est-à-dire qu’on quittait fréquemment l’hôtel Hilton pour la Sainte Mosquée… Et la Sainte Mosquée pour l’hôtel Hilton…
Les deux lieux pétillaient de richesses… La richesse spirituelle et la richesse matérielle. L’hôtel Hilton m’offrait tout le confort que l’on peut imaginer, tout était de première classe… Vous pouvez trouver dans cet hôtel tout le confort désiré… Tout… Il y a tout, louange au Seigneur ! Que puis-je dire d’autre…
Quant à la Sainte Mosquée, on y trouve la richesse spirituelle. Une richesse inépuisable… Imaginez, dix mille récompenses pour toute adoration accomplie à la Mosquée de Médine, et cent mille pour celle de La Mecque…
Ma chaise à la main, nous faisions des va-et-vient Vahid Bey et moi, entre l’hôtel Hilton et la Sainte Mosquée. Tout était impeccable, oh quelle beauté ! Il n’y a vraiment rien à dire, que la louange soit rendue à Allah L’Exalté ! Il y a l’abondance sans arrêt. L’abondance… Il n’y a rien d’inconvénient. À La Mecque tout comme à Médine, je sentis et vis la présence de Dieu Y et celle de Son bien-aimé Envoyé r.
Qu’aurais-je pu demander de plus à mon Seigneur : sur ces Terres Saintes, j’avais en face de moi deux beautés paradisiaques…
Un paradis spirituel et un paradis matériel, louange à Allah Tout-Puissant ! Que mon Seigneur soit loué ! Croyez-moi que même si je me prosternais pendant une durée de cent mille ans pour remercier Dieu, je ne pourrai pas dignement Lui rendre grâce.
Mais face à ce tableau illuminé, il y a encore des choses qui continuent d’affecter mon cœur. Des choses que je n’arrive pas à comprendre… Et elles continuent toujours de troubler ma conscience.
Un jour, en quittant mon hôtel, je vis un pauvre pakistanais à moitié fou assis sur le côté. Il était vêtu d’un vêtement très désagréable maculé de sueur, de rouille, de saleté et de goudron. Ses ongles étaient longs, et ses cheveux non peignés, sales, poussiéreux et entremêlés. Il était assis le visage orienté vers la Qibla et regardait constamment la Kaaba avec les yeux pleins de fatigue, d’évasion et de contemplation…
Prêtant légèrement attention, je vis à ses côtés un gros bâton plus précisément une canne. Je réalisai plus tard qu’il marchait à l’aide de cette canne car il était boiteux…
Personne ne se tournait même pour le regarder, tout comme lui aussi ne regardait personne. Il ne faisait que regarder la Kaaba, la maison d’Allah…
Dès que je sortis de l’hôtel avec mes beaux vêtements, il attira aussitôt mon attention. En passant auprès de lui, j’entendais mon vêtement me murmurer à l’oreille “arrogance, arrogance, arrogance”. Mais lui, il était pauvre et avait l’air de rien… Et quel bonheur que d’avoir l’air de rien…
Mais que je fusse bon ou mauvais, je ne suis qu’un serviteur ; et à cet effet, ne devrais-je pas réaliser que je ne suis rien ? Ou bien je pense que je le suis peut-être.
En passant auprès de ce pauvre pakistanais à moitié fou qui incarne parfaitement le caractère insignifiant et néant de la créature, je réalisai que je n’étais pas dignement conscient que je ne suis rien tel que je pense l’être au fond de moi.
Je me repens donc à mon Seigneur L’Exalté en toute humilité.
À voir l’homme, on pouvait aisément comprendre qu’il était affamé… C’était évident qu’il se nourrissait de ce que les gens lui donnaient… Il était tout affamé et maigre… Même sous la chaleur, il tremblait et frémissait comme s’il était sous le froid…
Ce jour-là, qu’Allah exauce, je jeûnais. À l’heure du sahour[2], je ne bus que deux verres d’eau. Juste ça… Cependant, lorsque je passais à côté de ce pauvre, je compris que ma faim était satiété comparée à la sienne.
Une fois à l’hôtel, je me mis à compter et m’aperçus qu’il y avait cinquante-huit différents plats au buffet ouvert. Impossible de gouter à tous tellement il y en avait… Des délices au goût piquant, salé, sucré, des fruits, des légumes, de la viande, etc. Il y avait tout ce qui peut vous venir à l’esprit… Tout, il y avait tout. Tous les délices mondains étaient offerts. Et pourtant, ce pauvre assis devant l’hôtel ne possédait rien. Rien, vraiment rien… Il mangeait la faim, buvait la faim, rien que la faim…
En considérant ce pauvre, tout ce que j’avais pu manger et boire me semblait différent. Vraiment différent… Grâce à ce pauvre, je réalisai ce que je suis.
Et quand je m’observe dans le miroir du Messager de Dieu r, je réalise à quel point ce pauvre est proche du Prophète r malgré la faim qui le tiraillait, et à quel point je suis loin de lui malgré ma satiété.
D’autre part, avec mon chapelet électronique en main, j’essayais de réciter trente voire quarante mille fois la salawat[3]. Malgré cela, je sentais que la réalité de ce pauvre ressemblait beaucoup plus à celle du Prophète r que la mienne par rapport à la sienne.
En effet, notre sainte mère Aicha c a dit ceci :
“L’Envoyé de Dieu r n’a jamais mangé jusqu’à satiété ! Il a vécu dans la faim, et mourut dans la faim.”
En résumé, ce que j’aimerais que vous compreniez, c’est que ma conscience fut très affectée. Je plongeai dans une contemplation profonde.
Du coup, j’ai eu le souvenir de la Turquie à l’esprit. C’est comme si l’hôtel Hilton était devenu toute la Turquie. J’ai assimilé ce pauvre affamé et désespéré assis devant le Hilton aux réfugiés Syriens de Hatay. Je réalisai mon irresponsabilité, ma défectuosité et mon impuissance. Je pris conscience de ma propre personne.
Juste à ce moment, l’Afrique affamée m’est venue à l’esprit… Et je me voyais toujours au Hilton. J’ai imaginé mon pays, les autres nations islamiques pauvres… J’ai imaginé tous les endroits… Tous… Et dans eux tous, j’ai vécu le syndrome de Hilton… En position verticale, je me suis regardé en termes de dimension temporelle… Je réalisai que j’ai toujours vécu dans l’aisance, le confort… Et ce durant toute ma vie…
Croyez-moi, j’ai éprouvé de la honte vis-à-vis de Mon Seigneur. Une grande honte d’ailleurs…
Face à ces incidents, j’ai soudainement pensé à cet avertissement de notre cheik Mûsa Efendi ç :
“Même si vous vivez dans le palais de Beylerbeyi, mangez comme les pauvres, habillez-vous comme eux car, au Jour Dernier, vous serez interrogés à propos du luxe dans lequel vous vivez.”
J’ai aussi pensé à feu le Docteur Hulûsi Baybal Ağabey qui avait lui aussi bien compris cette sagesse. Et c’est pour cela raison qu’il disait à chaque habitant de Konya, qui partait pour le pèlerinage ou pour une Omra, d’empocher de l’argent équivalent au coût d’un pèlerinage ou d’une Omra, et de le distribuer aux pauvres une fois arrivé en Terre Sainte… C’est un examen de conscience en fait…
En quittant Ankara, j’avais pris un sac vide dans l’intention de le remplir une fois arrivé en Terre Sainte.
Mais finalement, en rentrant au bercail, j’ai réalisé que le sac était toujours vide…
Je me suis alors rappelé que le Noble Prophète r avait un jour demandé à ses compagnons Men al muflis ? “ C’est-à-dire “Qui est celui qui a failli ? ”.
De retour en Turquie qu’Allah m’exauce ! J’ai trouvé en moi la réponse à la question.
[1]. Rajab (en arabe: رجب) est le septième mois du calendrier musulman. Le nom vient de «Rajaba» qui signifie respecter. C’est l’un des quatre mois sacrés de l’islam avec Muharram, Dhou al Qi`da et Dhou al Hijja. Le 27 du mois, Isra et Miraj est commémoré lors de la « nuit de l’ascension » (Layla al-Miraj).
[2]. Le sahour, aussi appelé sohour ou repas de l’aube, est un repas généralement léger, que prennent les musulmans juste avant l’aube durant le mois de ramadan, afin de mieux se préparer physiquement au jeûne.
[3]. La formule de prière sur le Prophète (paix et salut sur lui).
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