Le flacon contenant la sueur du Prophète
Prof. Dr. M. Yaşar Kandemir
Parmi les croyants épris de notre Prophète (pbsl) figurait Umm Sulaym. (Cette femme remarquable) détenait une position particulière. On disait qu’elle s’appelait en réalité Rumeysa ou Gumeysa. Les Arabes, hormis les prénoms donnés à l’homme et à la femme, avaient coutume d’attribuer un nom appartenant à une autre filiation. Ladite filiation était en général prise par rapport au nom de l’enfant premier-né. Cette filiation signifie donc que la mère de Sulaym a fait en sorte que son nom disparaisse.
Umm Sulaym fut la mère de ‘illustre d’Anas ibn Malik. Lorsque notre soleil de l’univers (pbsl) vint à Médine, Umm Sulaym lui présenta son fils. À l’ambassadeur d’Allah, à celui qui avait bien voulu honorer leur contrée, Umm Sulaym voulut lui offrir un présent qui pût exprimer de la meilleure façon sa reconnaissance sincère et son attachement profond. Elle ne possédait aucune richesse matérielle. Offrir son cœur, c’est-à-dire son fils afin qu’il le servît, était le plus beau présent qu’elle pouvait donner et c’est ce qu’elle proposa. C’était un fils intelligent et doué ; il avait valorisé de la plus belle des façons cette prospérité octroyée à peu d’individus. À côté des vertus qu’il possédait, grâce à sa mère, il fut, parmi les sept premiers Compagnons, qui rapportèrent le plus de hadiths de la bouche du prophète (pbsl).
Le père d’Anas s’appelait Malik. C’était un homme pauvre dont la seule joie fut d’avoir une épouse aussi valeureuse qu’Umm Sulaym. Cette dernière disait (incessamment) à son fils :
« Allez mon fils ! Dis « la ilaha illallah ». Allez mon cher fils ! Dis « ashadu anna Muhammad Rasul Allah ». Toutes ces réitérations avaient fini par l’ennuyer et il finit par se fâcher contre sa mère. On raconte que Malik, le père d’Anas, fut victime d’un assassinat ou bien qu’il était parti en Syrie après s’être fâché avec Umm Sulaym qui était devenue entretemps musulmane et qu’il est même mort là-bas.
UNE TELLE DOT
Devenue veuve, Abû Talha al-Ansarî se proposa de épouser Umm Sulaym. Nous le connaissons aussi très bien la vie de Abû Talha. Douze années après la première Révélation, il fut parmi les douze hommes de Médine qui conclurent le pacte d’Aqaba1. C’était un homme héroïque, sa voix était aussi forte que celle de dix hommes réunis et selon d’autres récits de mille (hommes). Le Prophète (pbsl) le comparait à un lion. Cependant, bien que désirant épouser Umm Sulaym, il n’était pas musulman lorsqu’il fit sa demande en mariage. Face à cette situation, Umm Sulaym lui tint les propos suivants :
« O Abû Talha ! Je ne peux refuser ta proposition ; car un homme tel que toi ne peut être refoulé. Mais tu es encore un impie, et moi une musulmane. Si tu acceptes l’islam, je te donnerai tout. Ne le sais-tu pas, le seigneur auquel tu te soumets est fait de terre ! Ensuite, l’artisan (menuisier) lui donne une forme. Dans ce cas, n’as-tu pas honte de vouer ton culte à un morceau de bois ! »
Abû Talha partit sans donner de réponse puis réfléchit (à ces paroles). Ayant ensuite réalisé qu’Umm Sulaym avait raison, il accepta d’embrasser l’islam, puis les noces furent célébrées. Umm Sulaym démontra à quel point elle fut une femme admirable, doublée d’une musulmane sincère, elle l’accepta en mariage en contrepartie d’une dot pareille. D’ailleurs, cette dot fut évoquée à de nombreuses reprises.
Umm Sulaym eut un enfant d’Abû Talha. Celui-ci, qui allait mourir précocement, aimait beaucoup s’amuser avec un oiseau qui ressemblait à un moineau. À cause de cela, le Prophète (pbsl) le surnommait « Abû ‘Umayr », ce qui signifie « père du bébé moineau ». Un jour, pourtant, l’oiseau mourut. L’enfant, dont le véritable nom était Zayd, eut beaucoup de chagrin à la mort de son oiseau. Notre Prophète (pbsl) qui l’avait vu si attristé alors qu’il passait près de sa demeure lui dit :
« O Abû ‘Umayr ! Qu’a donc fait le moineau ? »2(Yâ abâ‘Umayr mâ fa‘ala an-nughayr ?)
En agissant de la sorte, le Prophète (pbsl) avait tenté de le réconforter.
LA SIESTE DE MIDI
Notre Prophète (pbsl) accordait couramment des considérations aux croyants dont il estimait la sincérité et la foi profonde. L’une de ces considérations consistait à ce que son corps béni soit présent dans leur demeure respective, quelquefois en y accomplissant la prière, d’autres fois en partageant les modestes repas qu’on lui présentait et parfois aussi en y effectuant la sieste de midi.3
Le soleil étant particulièrement ardent au sein de la péninsule arabique, notre Prophète (pbsl) appréciait cette sieste particulière. Ainsi donc, cela lui permettait de se reposer et de se protéger de cette chaleur qui lui faisait songer au feu de l’enfer. Hormis la sienne, il n’avait point coutume d’aller dans d’autres demeures pour y effectuer sa sieste de midi ; c’était donc une considération dont peu de personnes furent honorées.
L’une de ces demeures que le Prophète (pbsl) affectionnait pour y faire la sieste était celle d’Umm Sulaym. Celle-ci se trouvait aux alentours de Médine, à Quba plus exactement. Car, certes, Umm Sulaym et Abû Talha était deux croyants qui avaient reçu la considération du Prophète (pbsl), si bien qu’il se rendait (de temps à autre) chez ces derniers.
Un autre évènement de taille à mettre en valeur la personnalité d’Umm Sulaym est le fait que cette dernière avait une sœur, Umm Haram, qui avait également obtenue l’assentiment du Prophète (pbsl). La demeure d’Umm Haram se situant à Médine, le Prophète (pbsl) s’y rendait aussi pour aller faire la sieste. Ainsi, un jour, alors que le Prophète (pbsl) s’y trouvait, celui-ci se réveilla en souriant. Il apporta peu après la nouvelle que sa communauté allait être en passe de conquérir Chypre. Suite à la demande d’Umm Haram, il pria pour cette dernière figure parmi les conquérants qui allaient y mourir martyrs. Effectivement, au cours du califat d’Othman, 27ème année de l’Hégire, sous le commandement de Mu’awiyya, Umm Haram et son mari ‘Ubada ibn Samit débarquèrent à Chypre. Une fois à terre, Umm Haram tomba de sa monture, décéda et fut ensevelie en martyre. À Chypre, on la surnomme « Tante Sultane ».
LA FEMME QUI A RECUEILLI DES PERLES
Tandis que le Bien-aimé d’Allah (pbsl) était en train de faire la sieste chez Umm Sulaym alors que le soleil de midi était intense, la natte sur laquelle il se reposait dégageait également une chaleur particulière. Umm Sulaym observa furtivement son beau visage et s’aperçut qu’il transpirait. La sueur qui s’écoulait de son visage, tel un trésor valant davantage que ce bas monde, allait bientôt s’amenuiser pour enfin disparaître. Umm Sulaym n’allait certainement pas laisser passer une telle occasion. Elle prit en conséquence un flacon à parfum dans lequel son mari Abû Talha avait coutume de garder son propre parfum et commença à recueillir du visage béni du Prophète (pbsl) les perles uniques qui s’y trouvaient. Le Prophète (pbsl) dut sentir le contact occasionné par le flacon puisqu’en ayant ouvert les yeux il demanda à Umm Sulaym ce qu’elle était en train de faire. Elle lui répondit qu’elle ne désirait pas voir disparaître le plus subtil des parfums (en le recueillant dans son flacon). Selon le récit mentionné dans le Sahih Muslim, la sueur du Prophète (pbsl) avait une senteur de rose et avait été préservée de manière à ce qu’Umm Sulaym pût la recueillir dans son flacon à parfum. Nous ne le savons pas de manière certaine, mais comme ce fait s’est produit plusieurs fois, il a été évoqué de façon diverse. À la requête d’Umm Sulaym, Son mari Abû Talha, qui savait que son épouse était fortement éprise du Messager d’Allah (pbsl), demanda à un coiffeur de lui apporter une mèche (de cheveux noirs) appartenant au Prophète (pbsl) afin de l’offrir à son épouse. Umm Sulaym prit la mèche de cheveux et la plaça dans son flacon à parfum.
Le fameux savant musulman Ibn Sirin était l’esclave d’Anas ibn Malik. À cause de cette raison particulière, il avait des liens certains avec Umm Sulaym. Cependant, en raison de la différence générationnelle, il n’avait pas connu le Prophète (pbsl). Un jour, Ibn Sirin demanda à Umm Sulaym de lui donner un peu du contenu de ce fameux flacon et cette dernière ne rejeta nullement cette demande sincère. Cet épris d’Allah qui reçut cette part de richesse la préserva comme sa propre vie et demanda que ce précieux contenu soit versé sur son linceul le jour de sa mort.
Quel bonheur extraordinaire de sentir ce parfum unique pendant toute sa vie et ensuite de le transporter avec son linceul jusqu’à sa nouvelle demeure. Cette signification singulière a été exprimée de la plus belle des façons par Izzet Molla (mort en 1829) : « Lorsque meurt le rossignol, un linceul est fait avec la rose dont il était épris, une rose de 100 pétales. Après l’inhumation, quelques vers sont récités pour lui du Gulistan du Sheikh Sa’di. »
Il y a énormément d’amoureux qui sont venus et partis de ce monde. Cependant, à force d’avoir manifesté extérieurement leur amour par différents moyens, ceux qui prennent place dans les premières pages du livre sont peu nombreux. Il est vrai qu’il est difficile d’oublier à ce propos une figure telle qu’Umm Sulaym.
Anas, quant à lui, apporte un autre exemple relatif à l’amour qu’éprouvait sa mère pour le Prophète (pbsl). Lorsque celui-ci arriva chez Umm Sulaym, il prit une jarre et but l’eau qui s’y trouvait. Au moment où Umm Sulaym aperçut la partie de la jarre où le Prophète (pbsl) avait déposé ses lèvres sacrées, elle découpa cette partie et la garda comme souvenir (du Prophète).
Le hadith stipulant qu’Umm Sulaym hérita du paradis suffit à montrer qu’elle était véritablement éprise du Prophète (pbsl). Il a dit à ce propos : « J’ai entendu un bruit de pas au paradis. J’ai regardé, c’était Gumeysa. »
Veuille Allah nous accorder son intercession.
1 Le pacte d’Aqaba eut lieu en l’an 622 du calendrier Julien.
2 Litt: Yâ abâ‘Umayr mâ fa‘ala an-nughayr?
3 La sieste de midi que l’on nomme « kaylüle » en turc ottoman.