La démence consommatoire et les cartes de crédit

Mar 13, 2019 par

Prof. Dr. Süleyman Derin

De nos jours, les musulmans doivent surmonter les tentations venant tant du monde extérieur que de leur égo pour bien vivre conformément aux exigences de l’Islam. À ce sujet, l’un des plus gros problèmes de notre temps est celui de l’usure. Les musulmans qui évitaient auparavant cette pratique abjecte se retrouvent pris au piège des différentes méthodes utilisées par les banques pour les atteindre. Tous les musulmans savent que l’usure et ses ramifications sont interdites par l’Islam.

Pourquoi l’Islam est-il si sensible au sujet de l’usure ? La cause de cette sensibilité repose sur le déséquilibre matériel et spirituel ainsi que sur les injustices causées par cette pratique. Cette interdiction est particulièrement et clairement justifiée par la destruction des familles et les cas de suicide résultant des dettes causées par l’utilisation incontrôlée des cartes de crédit.

De nos jours, les musulmans s’adonnent à un abus de consommation incommensurable. Ils s’endettent aveuglement sans prendre en considération leurs moyens à cause de l’influence de la publicité. Auparavant, ces types de dépense avaient lieu lorsqu’on était en compagnie d’amis. Selon les banques, les services de facilitation des activités de consommation sont à l’origine de cet enthousiasme. On peut acheter tout ce qui plait à l’aide d’une carte sans toutefois vérifier si cela est nécessaire ou non.

Pourtant, le Saint Coran présente ceux qui gaspillent leurs ressources comme étant les frères de Satan (Al-Isra, 17-27). L’Islam, religion du juste milieu, n’apprécie pas la cupidité de l’Homme. En cas de nécessité, l’Homme devrait dépenser de ses biens avec plaisir tant pour lui-même que pour sa communauté. Il n’y a pas de gaspillage dans la bienfaisance et il n’y a pas de bienfait dans le gaspillage.

L’une des causes de ce gaspillage est l’utilisation irresponsable des cartes de crédit.

À titre d’exemple, en Turquie, selon une étude menée par la Chambre de Commerce d’Ankara, huit cent mille personnes se trouvent inscrites dans la liste noire des cartes de crédit. Plus de trois cent mille (300.000) personnes ont rejoint cette liste en 2005 car elles étaient dans l’incapacité de payer leurs dettes. L’année passée, les dettes causées par l’utilisation incontrôlée des cartes de crédit s’élevaient à 417 trillions de lira et le nombre de cartes de crédit en situation d’irrégularité a augmenté de 85% en sept mois.

Face à cette situation, le Ministre du Commerce et de l’Industrie a déclaré qu’une pratique économique basée sur le zèle et l’ostentation prenait de l’ampleur en Turquie et que l’obtention des cartes de crédit était considérée comme un prestige. Sinon, qu’est-ce qui peut expliquer la présence de cartes de crédit de plusieurs banques dans la poche de personnes qui n’ont pas de véritable salaire ?

Notre religion organise de la meilleure façon les relations entre l’Homme et le matériel et n’admet pas que l’Homme soit l’esclave du matériel. L’expression « esclave du matériel » renvoie à une personne avare qui accumule en permanence ses biens sans jamais vouloir les dépenser, ou à une personne qui dépense énormément et incontrôlablement tous ses biens. Pourtant, un musulman ne doit pas être l’esclave de l’argent, mais plutôt son maître.

Malheureusement, même les musulmans qui font l’effort de vivre selon les prescriptions islamiques sont moins attentifs sur ce point. Les publicités, qui partout nous envahissent, envoûtent aussi bien les enfants que les adultes et les incitent à faire des courses sans nécessité. Les gens s’adonnent soit à une marque, soit à un ordinateur, soit à des vacances gratuites quelque part. Les besoins infinis de l’Homme exercent une emprise tellement grande sur lui qu’il n’a ni le temps ni la lucidité de remettre en question son excès de dépense.

Selon Mawlana Rûmî  قدس سرّه, l’accomplissement des désirs humains ressemble au jet du bois dans le feu. Chaque fois qu’on y ajoute du bois, les désirs et l’enthousiasme s’accroissent. C’est pour cela qu’il est nécessaire de tout faire pour éviter que chaque dépense en entraîne d’autres.

Le pire est que les banques, qui connaissent parfaitement les faiblesses des consommateurs, continuent à multiplier les moyens de les atteindre. Les cartes de crédit sont distribuées comme du pain dans les centres commerciaux, dans les gares de voyageurs et dans les cours de récréation des écoles.

La philosophie des cartes de crédit est la suivante : Prends maintenant de toute façon tu pourras payer d’une manière ou d’une autre. Cette proposition, qui est apparemment négligeable, a détruit des foyers. Ces publicités, qui incitent les consommateurs à dépenser sur tous les plans, n’octroient aucune facilité aux débiteurs au moment de s’acquitter de leurs dettes. Lorsque c’est le moment de payer ses dettes, les mêmes personnes qui paraissaient très aimables à la télévision font saisir tous les biens des insolvables. C’est pour cette raison que plusieurs personnes font recours aux pratiques abjectes telles que la corruption et le vol pour payer leurs dettes.

Pour se protéger contre cette tentation, il faut remettre à l’ordre du jour la sensibilité initiale de l’ascétisme soufi en l’adaptant à la vie moderne. Les premiers soufis en disant « une bouchée équivaut à un manteau » voulaient signifier qu’un humain peut vivre en se contentant de très peu de choses.

Peut-être que nous ne pourrons pas être autant dévots qu’eux et abandonner nos richesses et nos biens comme le fit Ibrahim ibn Ethem. Mais, nous pouvons au moins éviter les gaspillages inutiles. Si nous ne sommes pas capables d’y parvenir, cela signifie que nous vivons à dix mille lieux du soufisme. Un des plus importants principes du soufisme consiste à se détourner des futilités de ce bas-monde pour goûter aux plaisirs du monde de l’au-delà.

Pour éviter de tomber dans l’endettement excessif, nous devons régulièrement nous remettre en question et contrôler de temps en temps notre philosophie de la vie. Allons-nous vivre éternellement dans ce bas monde ? Notre objectif dans la vie consiste-t-il à acquérir tout ce que notre âme veut ou à l’éduquer ?

Ces questions peuvent nous permettre de parvenir à limiter nos dépenses. Si nous comprenons que la vie de ce bas-monde est très courte et évitons de toujours vouloir satisfaire inconditionnellement nos désirs, nous aurons résolu une bonne partie du problème. Dans cette vie très courte, il n’est pas nécessaire que nous nous détournions de la plus petite règle de l’Islam.

Selon Anas Ibn Malik (r.a) le Prophète (pbsl) a dit :

« Le Jour de la Résurrection, on fera venir d’entre les gens de l’Enfer celui qui aura le plus joui de la vie ici-bas. On le plonge alors une seule fois dans le Feu et on lui dit : « Ô fils d’Adam ! N’as-tu jamais connu quelque bien ? N’as-tu jamais rencontré quelqu’opulence ?» Il dit : « Non, par Dieu, ô mon Seigneur ! »

Puis on fait venir celui des gens du Paradis qui aura connu la vie la plus misérable dans ce bas-monde et on le plonge une seule fois dans la Paradis. On lui dit alors : « Ô fils d’Adam ! N’as-tu jamais connu quelque misère ? N’as-tu jamais rencontré la gêne ?» Il dit : « Non, par Dieu ! Je n’ai jamais connu la misère et je n’ai jamais rencontré la gêne. » (Sahih Muslim).

Ce hadith n’invite pas l’Homme à abandonner complètement la vie d’ici-bas. Notre Prophète () a interdit aux hommes de s’adonner complètement à la vie de ce bas- monde, car notre religion ne peut pas empêcher l’Homme de satisfaire ses besoins de base. Au contraire, la personne qui travaille pour gagner la nafaka[1] de sa famille reçoit les récompenses d’Allah.

De nos jours, les limites du halal[2] et du haram[3] sont véritablement mélangées. Pourtant, la mauvaise situation de l’Homme repose sur ces détails. Les interdictions d’Allah ne sont plus respectées.

Au bout du compte, il est nécessaire de s’éloigner de l’usure et des pratiques usuraires. Quel que soit le degré de propagation des pratiques usuraires, cela ne devrait pas affecter notre comportement. En outre, les musulmans doivent aider les autres à payer leurs dettes.

Bien plus, il est plus économique de s’offrir le nécessaire en payant comptant, car les commerçants font plus de réduction lorsqu’on paye comptant (cash). Qui plus est, du point de vue psychologique, il est plus difficile de gaspiller de l’argent quand on paye comptant, car personne n’aime dépenser de l’argent en espèces. In fine, les achats faits à l’aide d’une carte de crédit entraînent des dépenses inutiles. De ce point de vue, il est nécessaire de remettre en question les opinions selon lesquelles les cartes de crédit sont licites quand elles n’impliquent pas les pratiques usuraires. Du moins, pendant l’obtention d’une carte de crédit, il est nécessaire de prendre des mesures afin d’éviter que cela ne mène à des pratiques usuraires dans l’avenir.  De plus, en ce qui concerne le nombre de dettes susmentionnées, beaucoup de personnes n’imaginent pas que les cartes de crédit peuvent les entraîner dans ce genre de situation lorsqu’elles les acquièrent. Il est nécessaire de réévaluer l’échelle de destruction causée dans la société par les cartes de crédit et les consommateurs doivent faire énormément attention afin de s’éloigner des pièges du système capitaliste.

[1] La prise en charge matérielle et financière de la famille. NdT.

[2] Ce qui est religieusement autorisé. NdT.

[3] Ce qui est religieusement prohibé.  NdT.

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