Les lieux les plus appréciés

Mar 13, 2019 par

              Mustafa KÜÇÜKAŞCI

Selon Abou Hourayra (r.a.a.), le Messager d’Allah (saws) a dit : « Ce que Dieu aime le mieux dans un pays, ce sont ses mosquées et ce qu’il y déteste le plus ce sont ses marchés [1]. »

Les raisons qui sous-tendent l’amour de Dieu pour les mosquées sont évidentes et inutiles à expliquer, car les mosquées sont les lieux de prosternation et les foyers d’adoration. Si faire les achats est un impératif pour toute personne, pourquoi Dieu hait-Il alors les marchés ?

Les savants ont expliqué que la quasi-omniprésence des péchés et des conduites ignobles telles que les fraudes, l’escroquerie, la malhonnêteté, l’intérêt, les promesses non tenues, l’avarice, la rivalité et l’avidité dans l’univers commercial, suscite fréquemment la haine de Dieu à l’égard des marchés.

Pourtant, la foi ne s’oppose pas à l’existence du marché….

La première chose que notre Prophète (saws) fit lors de son arrivée à Médine, ce fut la construction d’une mosquée. Puis il désigna le marché et les installations des fidèles. Les besoins de l’homme exigent la présence aussi bien des marchés que des mosquées. Mais le problème réside dans la disproportion qui existe entre ce que le mérite des fidèles nécessite et ce à quoi ils aspirent. Les raisons de ce fait sont expliquées dans ce verset coranique :

« Quand ils entrevoient quelque commerce ou quelque divertissement, ils s’y dispersent et te laissent debout. Dis-leur que : ce qui est auprès d’Allah est bien meilleur que le divertissement et le commerce, et Allah est le Meilleur des pourvoyeurs[2]. »

Ali Fikri YAVUZ explique ainsi entre parenthèses la cause de cette révélation :

« Il fut un temps où une famine intense régnait, les fidèles entendirent l’annonce de la venue d’une caravane commerciale chargée de stocks de provisions pendant que tu lisais le sermon et crurent que l’abandon du sermon ne porterait pas préjudice à la vue d’un commerce ou d’une fête. Ils y accoururent, t’abandonnant seul (dans le sermon). (Seulement dix personnes restèrent dans la mosquée). Dis-leur que « les récompenses des serviteurs d’Allah sont meilleurs que le commerce et la fête car Allah est le Meilleur des pourvoyeurs. »

Ceux qui se comportent de la meilleure façon dans cette situation sont vénérés de la manière suivante dans le Coran :

« Ceux-là sont des hommes que ni le négoce, ni le troc ne distraient de l’invocation d’Allah, de l’accomplissement de la Salat ainsi que de l’acquittement de la Zakat, et qui redoutent un jour où les cœurs seront bouleversés ainsi que les regards[3]. »

L’opposition dans ces deux plusieurs versets entre le marché et la mosquée, le commerce et la prière, l’adoration de Dieu et la servitude de l’âme est évidente.

Ceux qui voulurent résoudre ce problème mirent le marché au service de la mosquée en construisant au centre des complexes islamiques, des mosquées autour desquelles ils installèrent des fontaines et des hammams[4] pour la pureté corporelle et des loges de derviches[5] pour la purification spirituelle. Chacun des édifices entourant le complexe avait un but précis tel que les loges de derviche pour raffermir la foi de ceux qui n’en tiraient pas assez de la mosquée, des bibliothèques et madrasas[6] pour assouvir leur soif spirituelle et intellectuelle et des cuisines et fontaines pour assouvir leur faim. Des cimetières et tombes furent installés dans ce jardin du paradis pour que la mort ne soit pas oubliée. Aux contours de cette infrastructure à la croissance inévitable, un marché fut établi pour assurer le fonctionnement de ses différents rouages. Ainsi fonctionnaient les marchés…

De nos jours, l’économie est tellement importante que des supermarchés sont installés au rez-de-chaussée des mosquées, car les plans larges des mosquées allouent des grands espaces pour les supermarchés qui servent de sources de revenus aux associations manquant de moyens financiers. Ainsi les complexes islamiques traditionnels ont régressé en nombre.

Mais hélas, tandis que ceux d’en haut disent « Allah ! », ceux d’en bas marchandent dans les rayons cosmétiques. Quelle pitié !

Les lieux d’adoration et les marchés sont devenus comme deux parties superposées. Quelle pitié !

Selon certaines opinions, les mosquées ainsi que leurs rez-de-chaussée et leurs espaces aériens comporteraient sept niveaux au sous-sol et sept niveaux sur l’espace aérien. C’est-à-dire qu’elles sont devenues des fondations ou organisations caritatives. Quelle pitié !

Il est vrai que la mosquée est une fondation. Mais une fondation, dans sa définition la plus concise, renvoie à un lieu où le commerce et les transactions sont interdites. Les mosquées ne sont pas des lieux de commerce, car ceux qui y vont pour le marchandage ne peuvent pas profiter de son abondance spirituelle.

Bağdatlı Rûhî[7], comme la plupart de ses contemporains, déplore cette situation dans les vers suivants :

Calomnie celui qui œuvre à l’hypocrisie,

Lui obéir conduit à la ruine.

Rûhî a écrit ces vers pour dénoncer les faux derviches, ainsi que ceux qui font le tour des mosquées, non pas pour se livrer à l’adoration mais plutôt pour recevoir les dons généreux des bienfaiteurs.

Tout comme à côté des mosquées gigantesques on trouve de petites mosquées, et à côté des petits marchés et supermarchés il y a de très grands supermarchés. Ces dernières années nous avons même vu apparaître des AVM[8]. Leur univers bruyant, lumineux, tumultueux, rempli de marques, prouvent à suffisance qu’ils ont depuis longtemps perdu leur logique de marché visant uniquement la satisfaction des besoins de l’individu. Ils sont devenus un mode de vie car on y retrouve des firmes de restauration rapide connues pour leur vente de viande infectée de bactéries, des marques d’accessoires vestimentaires et de vêtements présentant les formes corporelles des jeunes qui passent sur les yeux des parents, des cafés dits modernes où les conversations se font à haute voix ainsi que des salles de cinéma et de jeux. Dans ces conditions, les centres commerciaux visent à prendre possession du temps des citoyens…

L’intérêt équilibré que l’homme avait pour la mosquée et le marché s’est complètement détérioré avec l’avènement des AVM.

Si vous voulez prier l’icha (prière de la nuit) dans la mosquée Mihrimah Sultan (à Istanbul), vous aurez des difficultés à trouver un endroit où garer votre voiture. En revanche, si vous allez au fameux centre commercial dénommé Capitol, vous y trouverez des parkings gratuits à votre service.

Les mosquées sont parfois tellement sombres qu’on ne peut pas y lire le Coran. Mais vous verrez souvent des lieux inutiles éclairés par des milliers d’ampoules. Par exemple, les systèmes d’éclairage des AVM sont hautement professionnels. Dans les mosquées, vous entendrez les sifflements, le grésillement des systèmes de sonorisation ; bref des bruits de toutes sortes émanant de l’insouciance et du manque d’entretien alors que vous ne pourrez pas déceler la moindre imperfection dans le fond sonore d’un AVM.

Effectivement, avec le désintérêt que nous présentons actuellement, les systèmes de suivi des équipements de nos mosquées accusent un retard de 40 à 50 années. Il ne s’agit pas seulement des systèmes se trouvant au centre de la mosquée, mais de la simple impossibilité de réparer les systèmes sonores…

Certes, la véritable édification d’une mosquée ne se fait pas avec l’électricité, les ampoules, les pierres ou les marbres, mais avec les bons actes de l’ensemble des fidèles :

Les ornements des mosquées sont la prière, les invocations et la lecture du Coran ;

Les dorures, les lustres… ne sont que les apparats visibles…

À propos de sonorisation, il faut dire que dans le but d’inciter les clients à faire des achats dans leurs différentes boutiques, les Turcs utilisent des invitations verbales. Ainsi, les commerçants essayent de vendre leurs marchandises en utilisant un style linguistique embelli qui leur est propre afin d’attirer les clients. D’aucuns vendent leurs poissons en les appelant « les petits de la mer », d’autres leurs pastèques en disant : « Si le sang ne coule pas, il n’y a pas d’argent ! ». Finalement, leurs invitations publicitaires sont autant d’importantes sources de savoirs pour la culture populaire…

Les AVM, quant à eux, utilisent les moyens modernes de la publicité et les suggestions pour séduire les consommateurs. Ils se servent en outre du pouvoir de séduction des campagnes publicitaires, des affiches géantes, de l’éclat des néons et du charme des célébrités. Toute leur publicité vise beaucoup plus que la vente des produits étant donné qu’elle est devenue :

Un style de vie….

Le divertissement, les dépenses, les gâteries dans le luxe, donne la sensation de confiance et de bien être dans un lieu…

Un lieu…

Un lieu de vente des magazines et les journaux du marché.

Un lieu des plus aimés…

Un lieu ouvert jusqu’au matin…

Le mois passé, une pratique mise en place en Europe pour sortir de la crise, a pris vie dans les quartiers de luxe d’Istanbul : le shopping de minuit… les boutiques en ont tiré des profits colossaux…

Il y a un mois, on était en plein mois de Ramadan. Pendant les dix derniers jours ce mois, le Prophète (saws) avait l’habitude de prendre sa retraite spirituelle dans une mosquée loin des occupations du monde. Il me sembla que notre nation entière avait négligé la retraite spirituelle depuis fort longtemps. Pendant le Ramadan de cette année, le Ministère des Affaires Religieuses publia la liste des mosquées qui seraient ouvertes jusqu’au matin pour permettre la retraite spirituelle.

Qu’est-ce que cela a donné ?

La construction d’une mosquée est le travail d’un cœur pieux ;

Un cœur sans foi est une tumeur, une ville sans mosquée est une monstruosité !

La retraite spirituelle est la détermination de l’opposition entre la mosquée et le marché… car pendant la retraite spirituelle, on ne sort pas de la mosquée sauf pour renouveler ses ablutions. Chacun de ces deux lieux a son propre système d’invitation. Autrement dit, le marché est semblable à un lieu d’adoration.

Ces dernières décennies, plusieurs sociologues ont déclaré que les centres commerciaux étaient devenus des temples contemporains d’idolâtrie. En guise d’illustration, le Capitol dont nous avons parlé ci-dessus dérive sa dénomination du temple romain de Jupiter. Dans les centres commerciaux, il n’y a pas d’idoles. Mais il y a l’idolâtrie de l’âme.

Il y existe aussi les artifices et le divertissement pour attirer les clients.

Les cœurs qui entendent les appels, se dirigent vers la mosquée ;

Les préoccupations du monde obstruent la route.

L’équilibre entre la mosquée et le marché se détériore aussi dans les quartiers musulmans. Quand on parle de la mosquée, les premiers lieux qui viennent à l’esprit sont la Masdjid al-Haram (La Mosquée Sacrée) qui entoure la Ka’ba ainsi que al rawdâ al-mutahhara[9] ceint par la Masdjid al Nabawi (la Mosquée du Prophète).

Ces deux mosquées sont parmi les mosquées les plus aimées d’Allah et les plus valeureuses pour l’homme, car là-bas, le seul entretien fait avec Allah rapporte des milliers et même des centaines de milliers de profits.

Mais venez voir ces anciennes rivalités entre les boutiques dont les énormes murs entourent les mosquées et qui sont en passe de devenir des AVM ! Je ne parle pas des boutiques de vente de tesbih et de chechias, mais des boutiques telles que Burger King, Kentucky, Starbucks…

Si l’amour du quartier Harbiye pour le confort des AVM n’est pas surprenant, il en est de même pour la pratique du shopping jusqu’au matin dans le quartier Nişantaşı … Mais comment expliquer le fait que le plus grand effort du maire conservateur de la municipalité religieuse de Fatih ait été l’acquisition pour la ville d’un AVM dénommé Historia ?

Une incitation a circulé dans les boites e-mail ces derniers mois. Elle énumérait un certain nombre d’AVM qui avaient des petites mosquées dans leurs enceintes et proposait de protester contre les AVM sans mosquées. C’était une proposition innocente et raisonnable. Mais elle donna aussi lieu à un commentaire péjoratif : pour pourvoir accorder une bonne place au divertissement et au shopping, ne faudrait-il pas réserver une place isolée à côté des toilettes pour la prière… Pourtant, la mosquée est nécessaire partout car :

La mosquée est le lieu de prosternation ; la surface de la terre est un lieu d’adoration pour nous ;

L’âme est un privilège pour Muhammad et un don pour sa communauté de fidèles.

Les marchés et les AVM sont certes nécessaires… mais ils doivent rester dans les limites de la civilisation telle que réussie par nos ancêtres…

Dans notre code culturel, même la nourriture est au service de la force de l’adoration vu que la qibla de la vie n’est ni le confort, ni le luxe, ni le shopping, ni boire et manger, ni s’amuser, ni jouer ensemble pour tuer le temps…

Chaque minaret montre la Qibla de la vie ;

Débande tes yeux ô Homme, que le colin-maillard[10] finisse ! 

[1]           Rapporté Par Mouslim – Source Riyad as Salihin de l’Imam Mohieddine An Nawawi – Traduction du Dr Salah Eddine Kechrid (http://riyad.fr.tc ) Hadith 1841, Page 503.

[2]              Saint Coran, sourate Al Jumu’a (62), verset 11.

[3]              Saint Coran, sourate An-Nûr– La Lumière – (24), verset 37.

[4]              Établissement où l’on prend des bains de chaleur ou de vapeur à la façon turque.

[5]              Religieux musulman faisant partie d’une confrérie rattachée le plus souvent au soufisme.

[6]              École coranique.

[7]              Poète turc décédé en 1605, célèbre pour son écrit « Terkib-i Bend’i ».

[8]           A.V.M : Centre Commercial (en Turc Aliş Veriş Merkezi, abrégé en AVM).

[9]           Emplacement situé entre le Mimbar et la Maison du Prophète (saws) qui a dit : « Entre ma maison et mon mimbar se trouve un jardin (Rawdâ) du Paradis. » Rapporté par Mouslim et Boukhari.

[10]             Jeu de poursuite où l’un des joueurs a les yeux bandés et cherche à tâtons les autres joueurs.

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