Quelles sont les limites de l’acceptable(Jaïz)?

Mar 13, 2019 par

Prof. Dr. Hamdi Döndüren

Question : En Islam, qu’est-ce qu’une propriété publique ? Quelle est la sentence islamique sur la vente et la location d’un bien public ; sur le détournement de celui-ci pour une mise au service de l’Islam ?

 

Réponse : Dans la Loi islamique, les patrimoines publics sont soumis aux mêmes sentences que les biens d’une fondation ou d’un orphelin. La raison en est que pour chacune de ces différentes propriétés, une préservation est d’autant plus nécessaire au cas où, n’ayant pu être détenues par leurs véritables propriétaires, elles ont été cédées par procuration à des représentants.

Le Coran nous exhorte à prendre des précautions quant à la possession de la propriété d’un orphelin : « Et ne vous approchez des biens de l’orphelin que de la plus belle manière, jusqu’à ce qu’il ait atteint sa majorité [1]. »

Par conséquent, la gestion rationnelle et productive du patrimoine d’un orphelin, d’une fondation ou du public est une nécessité primordiale. Aussi, faut-il signaler que la gestion de ces trois différentes propriétés doit se faire selon les montants qui sont en cours durant leur gestion ; on doit faire pareil pour les entreprises économiques publiques, la municipalité, l’établissement privé, la caisse de retraite et l’institut des assurances sociales.

En résumé, dans le cas échéant de privatisation, vente ou location de ces biens communautaires, si leurs coûts excèdent largement les montants en cours, la vente ou bien le leasing sera infondé et considéré comme un délit de la part des protagonistes. Compte tenu de l’absence des locataires pendant la cession de propriété à un représentant, et pour permettre l’actualisation des coûts de location, il a été établi une limite d’un an pour la location des immeubles appartenant au public ou à une fondation ; cette limite s’étend jusqu’à trois ans pour les domaines agricoles. En même temps que les coûts sont conservés, la préséance est accordée au locataire. Ainsi, personne n’a le droit de s’approprier un bien public au-delà des exigences ci-dessus même avec l’intention que ce bien soit mis au service de l’Islam. Dans le cas contraire, le droit public aura été violé.

Question : Que dit l’Islam par rapport à l’élargissement frauduleux d’un espace, la pollution de l’air et de l’environnement, le tapage dans les lieux publics et la transformation en parking des trottoirs destinés aux piétons ? S’agit-il d’une violation du droit d’autrui ?

Réponse : Premièrement, il faut signaler que le propriétaire d’une terre a pleinement le droit d’utiliser cette terre et tout l’espace aérien situé au-dessus d’elle. Hormis le propriétaire d’un espace bien défini, personne d’autre n’a le droit de possession. Toutefois, le propriétaire ne doit pas compromettre le bien-être communautaire dans l’utilisation de son espace.

De nos jours, les municipalités jouent un rôle prépondérant dans la coordination des plans et l’application des règles de construction. La construction d’une demeure qui transcende les plans définis, les fenêtres d’une maison qui ouvrent sur le jardin du voisin ou un espace réservé aux passants sont des facteurs qui peuvent compromettre le bien-être d’autrui, réduire la vue sur le paysage et même constituer une entrave à la bonne circulation de l’air. Ce qui est en contradiction avec ce hadith : « L’Ange Gabriel u m’a incessamment exhorté au respect du droit de voisinage au point que j’ai pensé que le voisin aurait une part d’héritage dans le patrimoine de son voisin[2]. »

Encore une fois, le Messager d’Allah (pbsl) s’adressa ainsi à des gens assis dans un coin de la rue pour leur apprendre le droit de la rue : « Si vous tenez absolument à vous asseoir dans les rues, donnez au moins à la rue son droit. »  Ils dirent : « Et quel est le droit de la rue ? Ô Messager de Dieu ! » Il dit : « Ne pas regarder les passants, ne pas leur faire du tort, leur rendre leur salut, commander le bien et interdire le mal[3]. »

Il en est de même pour la pollution, le tapage dans les lieux publics et le stationnement des voitures sur les trottoirs, car cela gêne les passants. Parce que les municipalités n’ont pas depuis longtemps construit comme prévu des parkings grâce aux sommes qu’elles ont encaissées des propriétaires de nouveaux logements sans garage, nous faisons aujourd’hui face à une situation où les trottoirs servent de stationnement aux voitures.

L’argent du public doit être dépensé dans le sens du motif pour lequel il a été encaissé. Pendant la construction des villes Fustat (Le Caire) et Kûfa, le compagnon ‘Omar (r), lui-même commerçant en bordure de route, a personnellement tracé le croquis du plan de construction de la voie principale, du centre de la ville et les localités de Kabris.

Question : Est-il permis de confier à un bénévole l’accomplissement d’une tâche qui est sous notre responsabilité ?

Réponse : Un fonctionnaire du secteur public ou privé a le droit d’entreprendre lui-même ou de déléguer un représentant pour la suivie ou l’accomplissement des tâches dont il est redevable. Il n’y a aucun inconvénient à la condition que la délégation n’entraîne pas la violation des droits d’autrui et l’usurpation. Car, dans ce cas de figure, on considère qu’on a eu recours à un représentant pour éviter une injustice ou accélérer l’accomplissement d’une tâche.

L’entremise n’est pas permise si elle compromet le droit d’Allah l’Exalté ou d’un serviteur.

Lorsqu’un compagnon a voulu intercéder pour l’annulation d’une peine qui devait être appliquée sur une personne riche et honorable, le Prophète () s’adressa ainsi à ce dernier : « Même si c’était ma fille Fatima qui avait accompli ce délit, j’aurais appliqué sur elle la même sentence[4]. »

Question : Quelle est la sentence des dons en espèce reçus pour la réalisation des travaux dans les administrations de l’État ?

Réponse : Durant les premières périodes de l’Islam, les cadeaux reçus par les fonctionnaires de l’État étaient considérés comme de la corruption et les croyants s’en éloignaient.

Abdurrahmân Ibn Sa’d As Saidi (t) a dit : « Le Prophète () a désigné comme collecteur de l’impôt (zakat) un homme de la tribu de Azd nommé Ibn Alloutbya. Ce dernier vint au Prophète (pbsl) et dit : « Cette part constitue l’aumône, et le reste un cadeau que j’ai reçu. »

Suite à ces propos le Messager d’Allah (pbsl) s’exclama avec désolation :

« Si tu étais resté chez toi, dans ta demeure, aurais-tu reçu ce cadeau[5] ? »

Mais compte tenu de l’ampleur de l’oppression et de l’injustice qui se manifestera les siècles suivants, les dessous-de-table étaient un péché pour celui qui les recevait et non pour celui qui était contraint de corrompre pour protéger ses droits, ses biens et son âme.

De plus, les cadeaux ou pourboires attribués aux fonctionnaires pour qu’un travail soit accompli ou accéléré sont permis si l’action en question :

– Est licite,

– Correspond aux travaux pour lesquels l’entreprise en question est spécialisée,

– Ne compromet pas le droit d’autrui.

Le cadeau doit être octroyé pour éviter une oppression, une injustice, une menace ou accélérer l’exécution de la tâche pour laquelle on l’a donné.

De même, il est permis à un fonctionnaire d’accepter un cadeau donné avec l’intention de compenser les heures intenses de travail ou heures supplémentaires.

Il faut signaler que le moyen le plus efficace pour éradiquer la corruption passe par un traitement sain et un salaire largement suffisant octroyer aux fonctionnaires. Ceux qui ont une crainte révérencielle de leur Seigneur et du Jour dernier, sans nul doute se conforment minutieusement à ces mesures.

Question : Une personne possède le monopole sur un produit. Peut-elle fixer à sa guise le prix de ce produit ?

Réponse : Le Prophète (pbsl) avait pris des mesures contre les personnes qui, dans l’objectif d’avoir le monopole sur le marché, accostaient à l’entrée de la ville les transporteurs de marchandises pour acheter la totalité et être en mesure de les revendre à des prix exorbitants. L’Islam a accordé une importance cruciale à l’économie de marché basée sur la concurrence libre et l’équilibre de l’offre et la demande. Il n’a pas non plus établi une limite pour les bénéfices réalisés sur une vente ; néanmoins, il est interdit de pratiquer une politique de prix excessivement bas par rapport au prix courant pouvant supprimer la concurrence et laisser cours au monopole.

La marge du plus bas prix par rapport au prix courant est de 20% pour l’immobilier, 10% pour les animaux et 5% pour le mobilier. Selon l’école juridique malikite, la marge entre le plus bas prix et le prix courant peut s’étendre jusqu’à 1/3 de la valeur réelle de chaque type de marchandise (animaux, mobilier, immobilier).

Question : Dans le monde du commerce, dénigrer les produits de son concurrent pour avoir la supériorité, est-ce considéré comme une violation du droit d’autrui ?

Réponse : Dans le monde du commerce, la concurrence doit se baser sur l’honnêteté, la qualité du service et du produit offert. Employer des moyens frauduleux risquant d’entraver l’activité commerciale de ses concurrents est une violation des droits d’autrui.

Question : La sentence de la discipline à tenir en zone ennemie (dâru’l-harb) nous rend-elle licite les actes illicites ?

Réponse : Daru ’l-harb est le nom utilisé pour désigner une zone où les noms musulmans détiennent l’autorité. Toute personne qui se rend dans cette zone peut profiter d’un certain nombre d’opportunités qui s’offriront à elle.

En résumé, selon Abû Hanîfa et l’Imam Muhammed رَحْمَتَ الله عَلَيْهِم, il est permis de pratiquer l’intérêt avec un non-musulman de cette zone. Il est aussi permis dans cette zone de vendre de la chair de porc et de jouer aux jeux de hasard pour assurer sa subsistance.

Jusqu’au Pèlerinage d’Adieu du Prophète () la pratique de l’intérêt au sein de La Mecque (de même que le butin de guerre en zone ennemie) était permise au musulman selon le hadith suivant : « Il est interdit à un musulman de pratiquer l’intérêt avec un autre musulman en zone ennemie [6] . »

Toutefois, précisons que le profit qu’un musulman tirant des biens des non-musulmans ne doit pas se faire par le vol, le mensonge, la contrainte, l’usurpation et la fraude. Selon trois écoles juridiques et Abû Yusuf رَحْمَتَ الله عَلَيْهِ, l’illicite est illicite en tout lieu sans distinction de territoire de musulmans ou non-musulmans.

La majorité des savants, après avoir considéré cet avis, ont établi que l’illicite n’est seulement permis en terre ennemie qu’en cas de force majeure. Ceci étant, il est interdit à un musulman de cette zone de s’adonner à certaines activités telles l’élevage de porcs et la production de vin.

Question : Est-il permis d’investir un espace forestier ou une terre de la trésorerie pour y bâtir une maison ou entreprendre une activité commerciale ?

Réponse : Il est possible et permis de restaurer un espace sans propriétaire et de bâtir une demeure. Toutefois, s’il s’avère que l’État a établi des limites et règles en ce qui concerne la restauration et l’on doit s’y conformer. Dans le cas contraire, il s’agirait d’une violation du droit public.

Question : Est-il permis de divulguer des informations concernant une région dont la rente augmentera pour s’assurer un intérêt personnel ?

Réponse : Lorsqu’une personne divulgue des informations censées être tenues secrètes compromettant ainsi l’intérêt public, elle doit payer des frais d’indemnisation. Mais il n’y a pas d’inconvénient si c’est dans l’idéal d’un bien-fondé et non pour un intérêt personnel.

Question : Quelle est la sentence islamique sur l’utilisation frauduleuse de l’électricité et des services téléphoniques à partir de lignes publiques ?

Réponse : L’utilisation des bienfaits modernes tels que l’électricité et les services téléphoniques rentre dans le cadre des installations publiques dont l’utilisation est d’ailleurs permise. Néanmoins, leur utilisation frauduleuse est considérée comme un délit de vol et cela exige une indemnisation.

Question : Dans le domaine informatique, l’utilisation des données piratées est courante. S’agit-il d’une violation du droit d’autrui ? Peut-on pirater des données à dessein commercial ? Qu’en est-il aussi de la publication d’un livre ou cassette piratée ?

Réponse : En Islam, les découvertes, inventions et nouvelles technologies sont soumises à la même sentence que la sagesse à propos de laquelle indique ce hadith : « La sagesse est l’objet perdu du musulman, où qu’il le trouve qu’il le prenne[7]. »

Il est donc du droit de tout le monde de tirer profit de ces bienfaits.

Toutefois, si les auteurs de ces œuvres détiennent un brevet ou licence leur conférant tous les droits, ceux-ci peuvent gracieusement mettre leurs œuvres au service du grand public ou en moyenner un salaire, car le brevet est considéré comme une sorte de bien, de marchandise et toute piraterie d’une œuvre sans la permission de son auteur à des fins commerciales constitue un délit.

Par contre, on peut en faire un exemplaire en vue d’un but à caractère instructif, car cela rentre dans le cadre de la sagesse du hadith susmentionné. Un tribunal américain a exigé que la compagnie qui gérait les programmes de Microsoft soit scindée en deux parce que la compagnie mère détenait un grand monopole sur le marché, ce qui lui permettait de vendre à 1200 dollars un programme qui à l’origine devrait être vendu à 200 dollars.

L’Islam a carrément interdit le monopole et le marché noir. Par conséquent, le musulman doit chercher à acquérir son objet perdu qu’est la sagesse, sans abuser de son droit.

Question : Lorsqu’en cas de bouchon un conducteur passe par les bandes de sécurité pour se mettre en avant, s’agit-il d’une violation du droit d’autrui ?

Réponse : En Islam, il est interdit de se faire justice avant le moment propice sinon l’on risque de ne pas avoir gain de cause. Le Noble Coran mentionne que lorsque les filles du Prophète Chou’ayb (u) et les gens de la tribu du Prophète Salîh (u) étaient de garde pour la surveillance du puits, ils suivaient eux aussi l’ordre du rang pour pouvoir puiser l’eau. De même, lorsque le compagnon Othman (t) acheta à Médine le puits de Rûme durant l’année de disette, il signala qu’aucune personne n’aura le privilège de puiser l’eau sans suivre l’ordre du rang, ni lui ni l’ancien propriétaire.

En résumé, s’il n’y a pas de cas de force majeure, chaque conducteur doit suivre l’ordre et attendre son tour de passage.

[1] Saint Coran, sourate Les bestiaux (6), verset 152 ; sourate Le voyage nocturne (17), verset (34).

[2] Hadith unanimement reconnu authentique.

[3] Hadith unanimement reconnu authentique.

[4] Hadith unanimement reconnu authentique.

[5] Muslim, Imâra, 26-30.

[6] Zeylâî, Nasbu’r-Râye, IV, 44.

[7] Jami At-Tirmidhî, ‘Ilm (41), Chapitre 19, Hadith 2687 – Sunan Ibn Maja, Zuhd (37), Hadith 4169.

Articles liés

Tags

Partager

Exprimez-Vous