L’effort du croyant pour découvrir la miséricorde divine :

Mar 15, 2019 par

Prof. Dr. Hasan Kâmil Yılmaz

Depuis que l’homme est apparu sur terre, il oscille entre action et sérénité, crainte et espoir, inquiétude et confiance, peine et plaisir. Adam et son épouse ont été placés au paradis pour qu’ils puissent atteindre tous deux la sérénité, mais également pour être amenés à prendre conscience de leur crainte et atteindre ainsi l’espérance.

La peur et l’angoisse sont des sentiments à caractère impénétrable qui pourtant démoralisent et angoissent les gens. C’est la raison pour laquelle le Coran fait remarquer que : « Les bien-aimés seront à l’abri de toute crainte et ils ne sont point affligés. »[1] Et il annonce à l’intention de ceux qui sont dans la bonne direction : « N’ayez pas peur et ne soyez pas affligés ; mais ayez la bonne nouvelle du Paradis qui vous était promis. »[2]

Réaliser ce qu’est la peur (ou la crainte) et vouloir se débarrasser de l’angoisse et de la mélancolie ne peuvent être compris qu’à travers la foi, la crainte révérencielle d’Allah (taqwa), l’adoration et l’invocation (dou’a). Les versets coraniques relatifs aux formes d’adoration, incluant la dou’a, nous montrent qu’un cœur satisfait et serein est indispensable dans nos relations avec Allah. Il existe deux dimensions concernant la dou’a : celle qui relève du domaine personnel et celle qui relève du domaine d’autrui.

  1. La dou’a qui relève du domaine personnel du croyant

 

C’est prier et invoquer Allah pour soi-même. Le mystère de la dou’a ainsi que ces supplications s’élèvent jusqu’à Lui, parviennent à des lieux infinis connus d’Allah seul ; et, grâce à la rencontre des miséricordes divines, redescendent avec abondance dans le cœur du croyant sous forme d’expirations et de paroles purifiées. La dou’a de celui qui s’adresse au Majestueux Propriétaire, cherchant à ne pas écouter la voix de son ego mais celle d’Allah, ne sera plus sa dou’a mais deviendra celle d’Allah. La dou’a faite de cette manière est certes une occasion d’atteindre Allah, mais également une bonne raison pour espérer son approbation.

Des mains ouvertes en direction d’Allah, une langue qui se souvient de Lui et un cœur enflammé à Son égard effacent les péchés et les souillures de l’homme et corrigent ses sentiments impurs ; étant donné qu’il est impossible que les opposés puissent se trouver au même endroit. De même que la nuit s’enfuit à l’arrivée du soleil, de même les souillures attachées à la langue ainsi que le chagrin du cœur s’effacent lorsque la langue prononce le nom d’Allah en harmonie avec le cœur, à condition que le croyant soit sincère dans sa pratique, tant en matière de dou’a (invocation) que de taqwa (crainte révérencielle d’Allah).

La dou’a est une injonction divine. Sinon quelle serait la motivation pour un être créé de chair de L’invoquer ? Comment peut-il penser à être aussi courageux ? Celui qui est conforme à Allah qui Lui-même l’a ordonné est le bien accepté. Allah, qui a le pouvoir de transformer l’humble poussière en or parce qu’Il est le Tout-Puissant, à combien plus forte raison ne s’occuperait-Il pas de changer, recréer, octroyer et accorder Ses grâces. En effet, l’homme possède des particularités : en l’occurrence oublier, se tromper et commettre des péchés. Grâce aux dou’as qu’il accomplit, l’oubli et la confusion sont transformés par Allah en connaissance et sa colère est changée en patience et en bonne humeur. Allah, s’Il le souhaite, a la capacité de changer le feu en eau douce et s’Il ne le souhaite pas, l’eau douce peut se transformer en feu. C’est bien Lui qui réveille chez l’homme l’envie de L’invoquer et c’est bien Lui qui accepte (ou non) les invocations, étant donné que le but escompté demeure cette acceptation.

  1. La dou’a qui relève du domaine d’autrui

 

La dou’a est le lien établi par le croyant pour actionner la miséricorde divine. C’est pourquoi la dou’a qui relève du domaine d’autrui est aussi importante que celle relevant du domaine personnel. Ce qui est nécessaire dans la dou’a, c’est une langue exempte de péché et un cœur désintéressé. À cet effet, le Prophète (pbsl) apporta les précisions suivantes :

  1. « La dou’a effectuée pour son frère qui ne se trouve pas près de lui est une dou’a valable pour Allah. L’ange qui est employé à cet effet dit : ‘Amin, que cela soit aussi valable pour toi’ au moment où la personne fait des dou’as pour son frère. »[3]
  2. « Lorsque vous êtes près d’un malade ou d’un mort, faites une dou’a qui appelle au bien. Car les anges disent Amin à vos dou’as. »[4]
  3. « Il y a deux dou’as qui ne sont jamais refusées. Il n’y a pas de voile entre elles et Allah. L’une est celle d’une personne qui a été torturée et l’autre est celle du musulman qui prie pour son frère musulman. »[5]

Mawlânâ Rumî développe le mystère (ou secret) lié au fait d’effectuer des dou’as pour autrui en faisant quelques commentaires à ce sujet : Dieu dit : « Ô Moïse, implore Ma protection d’une bouche avec laquelle tu n’as pas péché. » Moïse dit : « Je n’ai pas une telle bouche. » Dieu dit : « Appelle-Moi par la bouche d’autres hommes. » Quand as-tu péché par la bouche des autres ? Invoque Dieu par la bouche d’autres hommes, criant : « Ô Dieu ! » Agis de telle façon que leurs bouches puissent prier pour toi, nuit et jour. »[6]

Il y a certes un mystère lié au fait d’effectuer des dou’as pour autrui. Car celles-ci accroissent les sentiments d’existence et de quiétude, faisant gagner une morale emprunte de sérénité. Effectivement, le Coran nous fait remarquer que la dou’a, particulièrement celle des prophètes, des bien-aimés et des saints apporte la quiétude comme cela peut l’être lorsqu’une aumône est présentée ou un sacrifice offert : « Prélève de leurs biens une Sadaqa par laquelle tu les purifies et les bénis, et prie pour eux. Ta prière est une quiétude pour eux. Et Allah est Audient et Omniscient. »[7]

Le meilleur effet dont peut bénéficier le croyant, c’est le sentiment de quiétude. Effectivement, Allah dit dans le Coran : « En vérité Nous t’avons accordé une victoire éclatante afin qu’Allah te pardonne tes péchés, passés et futurs, qu’Il parachève sur toi Son bienfait et te guide sur une voie droite ; et qu’Allah te donne un puissant secours. C’est Lui qui a fait descendre la quiétude dans les cœurs des croyants afin qu’ils ajoutent une foi à leur foi. A Allah appartiennent les armées des cieux et de la terre ; et Allah est Omniscient et Sage. »[8]

La dou’a est une question de confiance qui lie préalablement le croyant à Allah, mais aussi les croyants entre eux. Ce mystère particulier est vraiment important pour la tranquillité, la paix sociale et la confiance. Grâce à ce mystère (ou ce secret), la société peut se former en surpassant ses peurs et ses inquiétudes et devenir une société de confiance et d’amitié.

Les croyants invoquent de la manière suivante : « Les serviteurs du Tout Miséricordieux sont ceux qui marchent humblement sur terre, qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : ‹ Paix ›, qui passent les nuits prosternés et debout devant leur Seigneur ; qui disent: ‹Seigneur, écarte de nous le châtiment de l’Enfer›. – car son châtiment est permanent. »[9]

Ce qui est nécessaire à la dou’a, c’est la sincérité et la franchise. C’est s’abriter aussi sous la bienveillance et le pardon d’Allah, le cœur brisé. Afin d’user d’efficacité dans notre invocation, tous les organes de notre corps doivent être purifiés des scories physiques et morales. Autrement, nos paroles ne seront guère porteuses à l’instar de l’invocation faite par ce berger et développée très expressivement dans le Mathnawî (de Jalal-ud Din Rumî). Il y est mentionné en effet que Hz. Moussa (Moïse : sur lui la paix) vit en route un berger qui disait :

« Ô Dieu qui choisis qui tu veux. Qui es-Tu, que je puisse devenir Ton serviteur, et coudre Tes sandales et peigner Tes cheveux ? Que je puisse laver Tes vêtements, et tuer Ta vermine et T’apporter du lait, Ô mon Adoré ; Que je puisse baiser Ta petite main et frotter Tes petits pieds, et, au moment du coucher, balayer Ta petite chambre, Ô Toi à qui toutes mes chèvres sont offertes en sacrifice ; ô Toi en souvenir de qui sont tous mes gémissements ! »

Le berger disait de cette façon des paroles insensées. Moïse dit : « Homme, à qui parles-tu ? » Il répondit : « A Celui-là qui nous a créés, par qui cette terre et ce ciel ont été rendus visibles. »

« Prends garde ! dit Moïse. Tu es devenu tout à fait pervers ; en réalité, tu n’es pas devenu un musulman, tu es devenu un impie. Qu’est-ce que ces sottises ? Qu’est-ce que cette impiété et cette folie ? Mets-toi du coton dans la bouche ! (…) »

Le berger dit : « Ô Moïse, tu m’as fermé la bouche, et tu as brûlé mon âme de repentir. » Il déchira ses vêtements, poussa un soupir, se tourna précipitamment vers le désert, et s’en alla.

Une révélation vint à Moïse de la part de Dieu : « Tu as séparé mon serviteur de Moi. Es-tu venu pour unir, ou bien es-tu venu pour diviser ? Autant que tu le peux ne fais pas un pas vers la séparation (…) »

Quand Moïse entendit ces reproches de la part de Dieu, il courut dans le désert à la recherche du berger. Il s’avança sur les traces de pas de cet homme bouleversé (…) Enfin, Moïse le retrouva et l’aperçut ; le porteur de bonnes nouvelles lui dit : « La permission est venue de la part de Dieu. Ne recherche aucune règle ni méthode d’adoration ; dis tout ce que ton cœur désire. »[10]

La foi est soumission, la dou’a est un refuge établi au moyen de cette soumission. C’est pourquoi la littérature islamique ne s’appuie pas sur un certain déterminisme quant à cette question, mais par une soumission qui vient directement du cœur. Une dou’a effectuée avec des paroles exagérées et/ou somptueuses n’est pas une raison pour qu’elle soit acceptée et c’est bien la même chose pour les affirmations qui ne sont pas des raisons pour que la foi augmente ou diminue. Certes la dou’a est une demande qui doit se présenter avec sincérité, c’est-à-dire une demande où l’acceptation est désirée.

La dou’a est un refuge pour tout musulman et pour celui qui est dans la peine. C’est la raison pour laquelle les saints et les bien-aimés d’Allah font beaucoup d’invocations, pour toutes sortes de raisons comme repousser les ennuis, les peines et les épreuves de toute nature.

Parmi ces saints et bien-aimés, il y a ceux qui acceptent ces peines et catastrophes comme une soumission, telle que décrite par Mawlana Rumî : leurs bouches fermées à toute invocation. Ceux-là sont ceux qui acceptent tous les décrets d’Allah et qui ne déploient pas d’effort pour éloigner les épreuves qui surviennent. Même ces dernières leur procurent du plaisir. Aucune peine, ni aucune catastrophe ne peuvent changer leur bonne volonté à l’égard d’Allah. C’est dans cette intention que le poète Fuzulî a composé le distique suivant :

Ô Seigneur ! Par l’amour des épreuves rends-moi familier,

Ne m’en éloigne pas, ne serait-ce qu’un instant,

Que Ton aide ne diminue pas,

Soumets-moi aux épreuves avec abondance.

La raison de leur insatiabilité dans ce domaine est expliquée par leur recherche de la générosité, là où il y a déjà manifestation et acceptation des paroles d’Allah telles que : « Très certainement, Nous vous éprouverons par un peu de peur, de faim et de diminution de biens, de personnes et de fruits. »[11] Seulement ce chemin est difficile et comporte de nombreuses épreuves. Il n’est pas fait pour tout le monde.

En conclusion, affirmons qu’il n’est pas séant de faire des dou’as en criant ou en prononçant de belles paroles, mais ce qui importe, c’est la dou’a faite avec les larmes de nos yeux et de notre cœur, celle qui est sincère, intime et aimée d’Allah. Une vie sereine à la fois personnelle et également au sein de la société passe par une existence remplie de dou’as, en vertu du mystère qu’il renferme.

[1] Coran, sourate Yunus, 10/62.

[2] Coran, sourate Fusillat, 41/30.

[3] Muslim, Dhikr, 87,88 ; Ibn Mâja, manâsiq, 5.

[4] Muslim, Janâiz, 6; Abû Dâwûd, Janâiz, 15.

[5] Tabaranî, Mujamu’l-kabîr, XI, 119.

[6] Mathnawî, III, 180-184. (Trad. E.de Vitray-Meyerovitch)

[7] Coran, sourate At-Tawba, 9/103.

[8] Coran, sourate Al-Fath, 48/1-4.

[9] Coran, sourate Al-Furqan, 25/63-65.

[10] Mathnawî: II, 1720- 1780. (Trad. E de Vitray-Meyerovitch)

[11] Coran, sourate Al-Baqara, 2/155.

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